Dans "ET SES DÉMONS", Limonov n'en revient pas d'être encore vivant après son opération au cerveau, à Moscou, en mars 2016.
D'autant qu'il a peut-être été empoisonné, aucune explication médicale n'ayant été trouvée pour justifier sa maladie subite.
Sorti très vite de l'hopital, c'est une "nouvelle vie" qui s'offre à Limonov et à ses démons.
L'occasion aussi pour lui d'évoquer son actuelle fiancée, la belle et sulfureuse Fifi, bien plus jeune que lui, qui n'hésite pas à poser nue pour faire la promotion d'un livre de poèmes qu'il lui a consacré.
Limonov va également essayer de se trouver un successeur à la tête du parti "L'Autre Russie" et faire le point sur l'action menée par son parti dans le Donbass en guerre.
Il revient aussi sur l'incroyable épopée vécue de 1998 à 2001, dans l'Altaï, à la frontière du Kazakhstan : c'est là qu'il avait installé son camp de base avec ses militants.
Après son arrestation spectaculaire, en 2001, dans ces montagnes de l'Altaï, le procureur réclama 14 ans de réclusion, pour "trafic d'armes" et "tentative de coup d'Etat au Kazakhstan".
A la surprise générale, Edouard Limonov ne fut condamné qu'à 4 ans de prison, et en fit 2 ans et demi.
Limonov reconnait aujourd'hui, vingt ans après, qu'il préparait bien une action armée pour récupérer les régions à dominante russe dans le nord du Kazakhstan.
Des régions "kazakhisées" à marche forcée par le président Noursoultan Nazarbaïev, au pouvoir depuis 1990, "démocratiquement" réélu tous les 5 ans avec plus de 95% des voix.
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ET SES DÉMONS dans la version russe :
Pour le critique russe Vladislav Tolstov :
"On trouve dans "ET SES DÉMONS" , un homme qui a subi une opération au cerveau en mars 2016, et qui attend la fin (il est certain que la mort viendra à lui dans les derniers jours d'avril).
Cela lui permet, dans une frénésie de souvenirs, de retourner dans la République en guerre de Donetsk, de lancer un appel aux camarades de son parti, combattants volontaires dans le Donbass, de revisiter la maison de ses parents à Kharkov, et faire le bilan de sa vie.
Il s'agit d'un roman autobiographique de grande ampleur qui mélange les personnages et
les événements de la vie du véritable Edouard Limonov.
Tout fusionne : la chirurgie, l'hopital, la guerre, les femmes, les souvenirs.
Limonov est toujours l'un de nos meilleurs écrivains : il sait comment transformer tout cela en véritable thriller, et sa vie en tragédie antique.
Un livre intransigeant et passionné."
Vladislav Tolstov
EDWARD LIMONOV
ET SES DÉMONS
Traduit du russe par Monique Slodzian
Editions Bartillat
Sortie : 23 août 2018
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***** QUELQUES EXTRAITS *****
DANS LE DONBASS
Les premiers volontaires russes arrivés dans le Donbass, début 2014, furent des militants nationaux-bolchéviques.
Le journal indépendant NOVAÏA GAZETA chiffre leur nombre à 2.000.
Un an plus tard, la plupart seront expulsés par les autorités locales, sur ordre de Moscou, qui craignait de les voir revenir en Russie trop aguerris, au service d'un Parti révolutionnaire (le Kremlin contrecarrant à l'avance la stratégie de Limonov).
Dans "ET SES DÉMONS", Limonov raconte ces évènements importants, peu connus en France.
Petit extrait :
À la mi-mai 2015, les faux-amis du Donbass en finirent avec le Parti à Donetsk. Ils fermèrent les bureaux, arrachèrent les affiches, ôtèrent les drapeaux. Ils expulsèrent les membres. Les détachements de l’armée de la République populaire de Donetsk en comptent encore dans leurs rangs, ainsi que l’« Interbrigade » (organisation créée par le Parti pour le recrutement et le transport des volontaires de la Fédération de Russie vers le Donbass). Mais on les a disséminés exprès dans différents corps d’armée.
Ils n’ont pas permis la formation d’un détachement unique de militants, par peur. En revanche ils les autorisent à mourir individuellement pour la République populaire de Donetsk.
Lougansk, c’est encore une autre histoire. Le Président entre en transe, se tord les mains, se contorsionne tant et plus lorsque ses pensées rencontrent Lougansk.
Pourquoi ?
Parce que le Président a lui-même fait pression sur F. pour qu’il aille au Donbass prendre la tête du groupe de militants qui y étaient déjà partis se battre de leur propre initiative.
Voici comment les choses s’étaient passées.
Au printemps 2014, il y a déjà des militants au Donbass, ils y ont afflué pour se rendre en Crimée mais l’État russe s’est interposé et, rompant assez vite avec sa langueur proverbiale, la Crimée a été absorbée par la Russie, de sorte que les militants, attirés par les événements, ont rejoint le Donbass. À Slaviansk, à Kramatorsk, à Donetsk, à Lougansk.
À l’époque, les formations armées révolutionnaires de Donetsk acceptaient volontiers dans leurs rangs les citoyens russes. Il y avait donc déjà au Donbass des membres du Parti, mais sans direction politique. Et le fait qu’ils soient disséminés dans différentes formations ne convenait pas au Président.
Il fallait y envoyer un membre du Comité exécutif du Parti.
Impossible d’envoyer le premier venu commander un détachement de militants. Il ne pouvait envoyer que quelqu’un de sûr, qui ait de l’autorité.
QUE VA DEVENIR LE PARTI ?
Le Président est allongé dans l’obscurité.
– Qu’ils se débrouillent ou non sans toi n’est pas si important. Primo, physiquement tu n’es vraiment plus en mesure d’assurer les fonctions de chef du Parti.
Secundo, le Parti est moins important que toi. Il a perdu sa vaillance, son ressort et s’est banalisé. S’ils ne sont pas capables de le ressusciter ou du lui infuser un sang neuf, il mourra. Tout ce qui est faible meurt.
Non, le mot « ressusciter » ne convient pas. Le faire revivre. Sentir le nerf de l’époque et en tirer parti. Au lieu de continuer à vivoter sur le vieux nerf.
Dans les années 1990 et les premières années du XXème siècle, tu as réussi à fonder une organisation politique avec des garçons et des filles de Russie, tu as parfaitement compris qu’ils n’intéressaient personne et tu leur as proposé de donner un sens à leur vie et d’avoir un destin. Mais ces garçons et ces filles n’existent plus, ils sont sortis du théâtre de l’Histoire. Les meilleurs ont été tués, la plupart se sont fondus dans la vie du pays, se sont mariés et ont fait des enfants.
Président, mon vieux, tu as bien fait de confier les fonctions de chef du Parti à trois camarades, dorénavant c’est ce triumvirat qui sera au volant et on verra bien s’ils sortent de la route. Cependant, il avait encore gardé le poste de Président du Comité exécutif du Parti. Pourquoi donc ? Dans l’espoir qu’il faudrait soudain les reprendre en main.
Qu’es-tu en droit d’exiger d’eux ?
– Ils sont devenus pareils aux militants des autres partis qui ont copié les règles et les méthodes de « L’Autre Russie », telles qu’eux les avaient définies autour de 2005, mais depuis cette date, leur Parti « L’Autre Russie » n’a pas évolué. Il fait du surplace, imite les méthodes d’action directe qui l’ont rendu célèbre une décennie plus tôt, une bien pâle imitation.
– Pour apparaître comme l’avant-garde aux yeux de la jeunesse d’aujourd’hui, le Parti doit à nouveau se radicaliser. Mais ils ont peur, ils ont la trouille, il n’y a plus de gens suffisamment téméraires. Les héros ont péri.
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LIMONOV UTILISE MALICIEUSEMENT DES INITIALES, MAIS ...
tout le monde en Russie a reconnu P.
(Zakhar Prilepine, bien évidemment.)
A. conseillait de désigner comme successeur P., membre du Comité exécutif, un homme très connu dans tout le pays, doué de multiples talents et pas pauvre.
– Au moins le Parti aura un financement de base assuré, comme cela a été le cas avec vous.
– Il est trop proche du pouvoir.
– Pourtant il est avec nous depuis plusieurs années.
Si A. avait insisté davantage, le Président lui aurait dit :
« Anatoli, avant, il faudra marcher sur mon cadavre ! L’homme que tu proposes ferait très probablement du Parti un satellite du pouvoir, non par mauvaise intention, mais par conviction profonde, à cette nuance près, c’est bien ce qu’il ferait. Le chef de la République populaire de Donetsk lui a confié la tâche de représenter la RPD en Russie et il brandit sa carte plastifiée comme un gosse. En février, il a proposé au Comité exécutif de créer un détachement de membres du Parti pour la RPD, le patron de la RPD lui-même aurait donné son accord, a-t-il dit, pour une telle création. Comme ce n’est pas le chef de la RPD qui décide les questions de cette importance, mais Moscou, il est peu probable qu’un tel projet voie le jour. Et encore faut-il que les choses se passent bien comme le disent P. et le chef de la RPD. Or ils ont concocté cela au sauna, peut-on prendre au sérieux ce que l’on s’est dit au sauna ? »
En dépit de sa considération pour un homme connu dans tout le pays, le Président ne pouvait s’empêcher de voir percer en lui l’adolescent. Non à cause de l’âge, mais parce que sa vie manquait de tragique. Tout s’était trop bien arrangé pour lui, aucune anicroche, aucune mort accidentelle à noter. Pas davantage de souffrance, une vie heureuse, même s’il revendique son appartenance au Parti.
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Dans les couloirs de la clinique
Avec Sergueï, ils ont déambulé dans les couloirs, lu les consignes de l’Institut et bavardé. Comme tous les deux avaient fait de la prison, elle fut au centre de la conversation, de quoi d’autre peuvent bien parler d’anciens détenus ?
Tous les deux comprenaient la logique de la prison, ils la respectaient et n’en étaient pas horrifiés. Ils venaient de partager le récit de plusieurs épisodes de leur vie de taulards et continuèrent sur ce thème, non sans une certaine extase, allant jusqu’à s’attarder longuement sur la bouffe. Le Président se souvenait comment avec Vania Rybkine, dans la prison d’un camp à régime sévère, ils essayaient d’enlever l’ignoble graisse qui collait aux macaronis pour les assaisonner ensuite à leur façon...///...
Surgit une belle et grande pute moulée dans ses vêtements, chaussée de hauts talons, accompagnée d’un homme aux cheveux gris en bataille. Le Président devina que l’homme se trouvait dans la même situation que lui, le Président. Le malheur s’était abattu sur lui, il était à l’article de la mort et il avait cette donzelle ou cette épouse qui s’en fichait comme de colin-tampon. Elle se balançait au rythme de la musique que l’écouteur lui déversait à l’oreille. « L’épouse trouvera un remplaçant, mais la mère pleurera toujours son fils. »
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L'ÉPOPÉE DANS L'ALTAÏ
La fillette de Biisk ( 1)
1. Biisk est une ville de la région de l’Altaï, en Sibérie occidentale
« Vieux, il ne te reste rien d’autre à faire qu’à te remémorer le passé. Ne te prive pas, tant qu’il y a matière. » Probable que l’aventure de l’Altaï a été la plus folle qui lui fut donnée de vivre.
Quand a-t-elle commencé ?
Cela remonte à loin. À la fin du XXe siècle.
Parmi la multitude des interlocuteurs qu’il avait (pour les affaires du Parti, le Président correspondait avec des centaines de personnes, les lettres étant remises en mains propres ou envoyées par la poste) se trouvait une môme de seize ans de la ville de Biisk. C’est par elle que le Président découvrit pour la première fois les merveilleuses terres vierges du Haut-Altaï, une région qui compte au kilomètre carré plus d’ours et de loups que d’humains.
Cette petite, il ne la vit donc jamais et ne la rencontra jamais, mais c’est pourtant par elle que tout avait commencé. Elle n’avait que seize ans et quelques malentendus avec la réalité d’une ville de province de Sibérie méridionale, bien qu’elle eût des parents formidables dans cette même ville.
Elle avait trouvé quelque part le journal qu’éditait le Président (LIMONKA), très probablement à Barnaoul, la capitale régionale, et elle lui avait envoyé une lettre. Ce devait être en 1999, juste au moment où le Parti cherchait la voie à suivre.
En fait, en 1998, le Parti avait tenu son Premier Congrès de toutes les Russies et avait sollicité deux fois son enregistrement au Ministère de la Justice et, par deux fois il avait essuyé un refus. Il était clair qu’on cherchait à l’abattre et à lui barrer la route des élections. Il fallait donc trouver une autre voie.
Le Président se mit donc à lire attentivement les lettres qui lui parvenaient des régions, il fallait quelque chose à quoi se raccrocher. Lancer des actions de guerilla. Mais pas dans son pays. Il fallait commencer la lutte armée à l’étranger. Mais où ça ?
Dans l’une de ses lettres la fillette de Biisk avait envoyé au Président un guide touristique du Haut Altaï. Sur la carte schématique placée à l’intérieur du guide, le Président avait vu que le Haut Altaï bordait le Kazakhstan. Ce voisinage lui plut. Il alla acheter à la librairie « Maison du livre », sur l’Arbat, une carte détaillée de la République du Haut-Altaï. Sur cette carte, le territoire lui parut encore plus intéressant. Torrents de montagne, points d’habitation clairsemés, même les hameaux et les cabanes de chasse y étaient indiqués.
Il y avait beaucoup de lettres de la petite de Biisk. Aujourd’hui, des années après, ces pages, la grosse écriture enfantine, les points d’exclamation, les mots soulignés, la grande toile formée par les lettres semblaient au Président parfaitement orchestrés. Des fleurs séchées, des graminées ou encore des photos d’elle – une grande asperge d’adolescente maigre – étaient glissées dans les lettres. On ne pouvait pas dire qu’elle était jolie, mais laide, à coup sûr elle ne l’était pas.
Le Président se souvint qu’outre ces hymnes et louanges exaltés au Haut-Altaï, de lettre en lettre, courait le fil d’un long récit confus sur un édifice du XIXème siècle. Pour autant qu’il se souvienne, il s’agissait des arcades marchandes d’un riche vieux-croyant (1). Presque chaque jour, la fille et sa maman passaient devant ces bâtiments en ruine avec la même indignation et rêvaient de les restaurer.
Au fond, c’était l’histoire triste de la sauvagerie supposée de la ville de province et celle de la famille, un conflit entre la conscience individuelle et la conscience historique qui dépasse le milieu environnant. C’est toujours un conflit triste. Pour le résoudre, mieux vaut se sauver à toutes jambes de sa ville de province. Du reste, pour être tout à fait précis, au mot « sauvage » il faut substituer celui d’« ordinaire », le milieu ordinaire des petits-bourgeois – les gosses, les landaus, les patates et le saucisson... Le peignoir sale de la belle-mère. Celui dont le peignoir de la belle-mère est bien propre devient homme d’affaires.
Plus tard, dans les montagnes de l’Altaï, le Président avait pu noter que directeurs et propriétaires de bains (2) faisaient partie des gens sobres. Ainsi donc, la fillette de Biisk, ses fleurs séchées et ses graminées les avait conduits dans la République de l’Altaï.
La première fois où ils passèrent près de Biisk, ils n’avaient pas eu le temps de s’arrêter, ils se trouvaient dans la voiture d’un vieux sportif de Barnaoul, pressé d’atteindre le Haut-Altaï et de revenir chez lui. Les fois suivantes, ils avaient déjà oublié la fillette de Biisk, pressés qu’ils étaient d’aller au-devant de leur destin.
(1). Secte de l’Église orthodoxe qui avait refusé les réformes de Pierre le Grand au xviie siècle. Persécutés, les vieux-croyants fuirent en masse vers la Sibérie.
(2). Les bains médicinaux de l’Altaï à base de cornes de cerfs pilés sont réputés dans toute l’Asie et leur exploitation est sûrement lucrative.
VIDÉO
2001 : ARRESTATION DANS L'ALTAÏ
VIDÉO DE L'ARRESTATION DE LIMONOV ET DE SES PARTISANS PAR UNE BRIGADE SPÉCIALE DU FSB DANS LES MONTAGNES DE L'ALTAÏ.
ON COMPREND PRESQUE TOUT AVEC LA TRADUCTION AUTOMATIQUE YOUTUBE.
EMPOISONNÉ ?
Lui est revenu en mémoire l’avertissement qui lui avait été envoyé par l’intermédiaire de S.A., disant qu’une menace sérieuse pèserait sur sa tête à partir du 16 février. Puis il y avait eu la lettre anonyme trouvée par Danila près de sa porte, entre le mur et les fils électriques, sur le palier.
Il avait interrogé S.A. pour qu’il l’aide à clarifier ses soupçons sur cette proximité de dates : celle l’avertissant d’une menace, celle de la chute et celle de la lettre anonyme, sans compter la date où il était passé sur la table d’opération. Le 16 février, le 29 février, le 7 mars et le 15 mars, ces dates étaient trop proches pour ne pas avoir de rapport entre elles.
S.A., lui avait répondu ceci : « C’est en effet suspect. Je ne connais ni les détails ni les circonstances précises de votre chute, mais il se peut que l’on vous ait donné à boire ou à respirer quelque cochonnerie ? Aujourd’hui, tout est possible. La technique permet tout... Mettons que l’on ait chargé quelqu’un de faire le boulot... sans laisser de traces ? Je n’en sais pas plus. Si j’avais quelques éléments nouveaux, je vous les ferai savoir. »
Le président relut la lettre anonyme et fut frappé par ce passage :
« Je suis curieux de savoir ce que vous ressentez après votre traumatisme crânien. Vous rétablissez-vous ? Les migraines, les vertiges et la faiblesse générale ont-ils cessé ? Si je me souviens bien, vous aviez des difficultés à marcher. »
Jusqu’au 7 mars, il n’avait pas eu de migraine et les vertiges avaient été légers, de même que la faiblesse. Le problème venait de ses mains, il ne frappait pas les bonnes touches, quant aux difficultés avec les jambes, elles n’apparurent que vers le 12 ou le 13 mars, à la fin de la semaine du 7 mars.
Par conséquent, pourquoi l’auteur de la lettre les évoquait-il ? Était-ce pure imagination ? Ou savait-il par avance qu’il souffrirait de vertige et de troubles de la locomotion ?
On l’aurait empoisonné ? L’hypothèse de S.A. selon laquelle on lui aurait « donné à boire ou à respirer quelque cochonnerie » lui paraissait maintenant plus plausible. Elle corroborait à nouveau le soupçon devenu familier qu’il s’était passé quelque chose le 28 février, lorsqu’à la convention du Comité Exécutif du Parti, la séance officielle avait été suivie d’une réunion non-officielle. Les onze membres du Comité Exécutif, comprenant le Président, y siégeaient, ainsi qu’un membre du Comité de contrôle. Après leur départ était arrivée son amie Fifi. Ils étaient treize, comme dans « la Cène. » On ne pouvait imaginer plus classique !
Lequel était Judas ? Qui soupçonnait-il ?
Mais tous, hormis lui-même.
LA PETITE AMIE, FIFI
Le 27 mars, son amie est venue chez lui. Elle portait un simple manteau en tricot bordé d’une courte fourrure grise et des bottes.
Si gaie, qu’on l’eut crue éméchée. À la vérité, son manteau jaune et bleu était ceinturé d’une bande noire, il n’était donc pas aux couleurs du drapeau de l’Ukraine, responsable de la mort et des blessures terribles de tant de camarades du Parti.
Elle lui apportait un bouquet de roses jaunes, au nombre de onze. Leur jaune profond était très appétissant.
– Je me suis coupée la frange ! Tu vois !
– Tu me l’as écrit. (Elle lui écrivait sur Internet.)
Il lui versa un verre de vin blanc et but de l’eau, simplement de l’eau. Il mangea l’élégante saucisse achetée chez « Frau Brotchen 2 » qu’elle lui avait apportée. La saucisse était enrobée de pâte et elle se laissait deviner par endroits comme le corps d’une femme à travers les découpes de sa robe...///...
Elle fila dans la salle de bain.
En ressortit nue.
– Regarde comme j’ai grossi.
En effet, elle avait un petit ventre.
– À Varsovie, on nous a gavés comme des oies. C’était très bon.
Elle lui parut plus courte sur pattes qu’avant l’opération, plus frêle et plus simplette. Elle riait et pouffait. Comme une demeurée. Ce n’est pas ce qu’on lui demandait.
« Il m’arrive que je vois le monde autrement, comprit-il, avec un regard plus aigu. Pourvu qu’elle ne perde pas son aura, songea-t-il. Il ne me manquerait plus que ça... »
Elle voulut se coucher sur le dos, mais il la souleva et la mit sur les genoux. Son sexe la pénétra avec une facilité surprenante et il se dit qu’elle avait dû faire l’amour avant de venir. Où et avec qui ne l’intéressait pas, mais le fait était là. Ensuite, tout fut sensation, ils passèrent dans le royaume des sens...///...
Durant les six années de leur relation amoureuse, elle ne lui avait jamais révélé son adresse. Il ne savait ni le nom de la rue, ni le numéro de l’immeuble, ni celui de son appartement. Elle avait prononcé le nom d’un quartier de Moscou où elle était censée habiter, mais comment être sûr qu’elle y habitait vraiment ? Peut-être y avait-elle habité à un moment donné ? Peut-être même jamais.
À l’écouter, elle vivait avec sa fille. À l’écouter, elle n’avait pas divorcé avec son mari, mais vivait séparée, bien qu’elle envoyât assez souvent sa fille, toujours à l’entendre, chez ses beaux-parents qui l’aimaient beaucoup. Le plus probable, c’est qu’elle vivait toujours avec son mari avec lequel elle entretenait des relations assez étranges. La première année de leur relation, il lui avait téléphoné et c’est le mari qui avait répondu. Le Président ne se démonta pas et demanda au mari de lui dire qu’elle le rappelle. Et il avait prononcé son prénom.
Elle ment à tout bout de champ. Il découvrit l’un de ses mensonges par hasard. Un jour, il y a longtemps, elle consultait les offres d’emploi sur Internet et laissa son CV et, surtout, sa photo. Il apprit ainsi qu’elle n’avait pas l’âge qu’elle lui avait dit, qu’elle était plus âgée. D’ailleurs, lorsqu’il était tombé sur ce vieux CV, il n’aurait pu renoncer à elle, aurait-elle dû avoir vingt ans de plus. Après cette histoire de téléphone, elle en acheta un qu’elle n’allumait que pour communiquer avec lui, ce qui n’arrivait que très, très rarement. Si elle ne le souhaitait pas, le Président ne pouvait pas la joindre. Ils communiquaient du reste librement par mail. Ce type d’échange ne permettait pas d’identifier le lieu où elle se trouvait, à deux rues de là ou en Italie...///...
Tant de choses s’accordent entre les jambes des humains, des deux sexes ! C’est là que se forme le nœud primitif de l’humain tout entier. Les bêtes sauvages, lorsqu’elles ont réussi à s’emparer d’une proie humaine, commencent par dévorer l’entrejambe. Au zoo, chaque fois qu’un fou s’est aventuré dans la cage d’un rapace, la même scène s’est produite : mâchouillement entre les jambes. Parfois, la bête lève la gueule, roule des yeux terrifiants et se remet à mâcher. Pendant l’accouplement, l’amour aussi s’accomplit à cet endroit, entre les jambes, les autres parties du corps n’y tiennent qu’un rôle modeste, à la troisième ou quatrième place, par frottement des épidermes. Chaque fois, elle donnait l’impression de cacher un secret qu’elle voulait révéler, mais qu’elle n’y parvenait pas, s’y refusait. Même pendant l’orgasme. Or elle en avait beaucoup. Parfois cinq ou six. Et à nouveau le couinement... d’une chienne capricieuse, elle a six ans et trente-six ans à la fois. D’une hygiène parfaite, elle se vautre dans la boue et en jouit...
VIDÉO DE FIFI NUE
Fifi pose nue de dos, au moment de la publication d'un livre de poèmes que lui a consacré Limonov, "Pour Fifi"
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CE SITE EST CONSACRÉ A EDOUARD LIMONOV (et ses disciples)
Il actualise le livre d'Emmanuel Carrère, avec photos, vidéos rares, et quantité d'informations inédites (2022)
Voir la 1ère page, très complète, ici :
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