Les Enragés de la jeune littérature russe

                                               MONIQUE SLODZIAN

LES ENRAGÉS DE LA JEUNE LITTÉRATURE RUSSE

         EDITIONS DE LA DIFFERENCE  -- mai 2014

      Un livre passionnant qui permet de comprendre l'influence exercée par Edouard Limonov sur les jeunes écrivains russes les plus talentueux et les plus écoutés du moment. Un ouvrage qui, de plus, décrit formidablement la Russie d'aujourd'hui.

         Et très agréable à lire, ce qui ne gâche rien. 

 

Extrait du livre concernant Limonov : 

 http://www.tout-sur-limonov.fr/371489334

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 Un voyage turbulent dans la politique et la littérature russes actuelles, voici ce que propose le présent essai.

Les acteurs en sont de jeunes écrivains qui dressent un bilan très négatif des 25 années qui ont suivi l'effondrement de l'URSS.

 

Il s’agit d’une génération née dans les années quatre-vingt, mue par l’envie d’en découdre avec l’hydre à sept têtes du libéralisme. Elle se fait le porte-voix de la majorité du peuple russe, anéanti par les effets dévastateurs du capitalisme oligarchique.

Ces écrivains revendiquent haut et fort le droit de penser autrement le passé soviétique, le droit de reconstituer leur patrimoine culturel, moral et politique sans égard pour les tabous idéologiques imposés par l’Occident.

Se réclamant d’Edouard Limonov, l’un de leurs chefs de file, Zakhar Prilépine, a fait scandale en 2012 en publiant sa Lettre à Staline, pamphlet violemment anti-libéral.

 

              Ces jeunes écrivains (Guerman Sadoulaev, Roman Senchine, Sergeï Shargunov) se disent de gauche et se réclament du national-bolchevisme.

 

Cela suffit à les discréditer a priori et, en tout cas, à les rendre quasiment inaudibles en Occident. Ennemis implacables du pouvoir poutinien, ils sont maltraités par les médias libéraux russes et largement ignorés des médias occidentaux, incapables, semble-t-il, de décrypter la signification d’un mouvement politico-culturel majeur.

Savoir écouter ces voix parfois dissonantes à nos oreilles occidentales, c’est se donner une chance de voir autrement le monde russe.

 

 

*Monique Slodzian est professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales ( Langues O ).

Spécialiste de la Russie et de la littérature russe contemporaine, elle est l’auteur d’une dizaine de traductions, d’adaptations de romans et de pièces de théâtre d’écrivains russes et soviétiques. Parmi ceux-ci, Fiodor Abramov, Fazil Iskander, Zalyguin, Trifonov... Elle a également coordonné deux ouvrages sur l’URSS pour les éditions Larousse et les Temps Modernes.

 Ici un extrait du livre concernant  Limonov :

 http://www.tout-sur-limonov.fr/371489334

 

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La présentation du livre par Colette Lambrichs, la directrice  des Editions de la Différence :
elle parle aussi du livre de Zakhar Prilepine, qui sort le 15 mai

                      Le joli mois de mai

Il devient presque impossible d’écouter, en France, la radio ou la télévision tant la désinformation et les jugements « aux ordres » sont affirmés comme des vérités indiscutables.

Il en va ainsi de l’Ukraine et de la Russie dont on comprend que la position américaine est désormais celle de l’Europe et de la France. Depuis que, sous la belle initiative de Nicolas Sarkozy, la France a rejoint l’O.T.A.N., il n’y a plus de diplomatie française dans le règlement des conflits et c’est bien dommage car quiconque est allé en Russie, sait que ce grand pays nous est infiniment proche par sa littérature, sa poésie, sa musique, sa peinture, l’architecture de ses villes et la sensibilité des gens qui y vivent.


Que serions-nous en France sans Dostoïevski, Tchekhov, Tolstoï, Soljenitsyne, Chalamov, Boulgakov, Essenine, Tsvetaeva, Akhmatova, Malevitch, Kandinsky, de Stael, Lanskoy, Tchaïkovski, Moussorgki, Rachmaninov, Stravinsky parmi tant d’autres artistes dont les œuvres font intimement partie de nous-mêmes ?

La sortie aux Éditions de la Différence de l’essai de Monique Slodzian Les Enragés de la jeune littérature russe, le 9 mai prochain, permet de découvrir une nouvelle génération d’écrivains russes, intensément engagés en politique, violemment anti-libéraux, qui nous font mesurer l’étendue de la révolte devant l’effondrement de toutes les valeurs qui a suivi l’effondrement de l’U.R.S.S.

On mesure mal en France l’ampleur des dégâts qu’a provoquée, dans une économie autrefois planifiée, l’irruption d’un capitalisme mondialisé.


L’analyse très fine et documentée de Monique Slodzian nous fait comprendre les positions d’écrivains comme Limonov et Prilépine qui n’acceptent pas la curée de leur pays, tant au plan idéologique et culturel que territorial.

Il est rassurant de constater que ces écrivains prennent publiquement la parole, engagent des polémiques et que leurs œuvres participent d’un combat qui passionne un vaste public.

Le livre de Zakhar Prilépine, Je viens de Russie  , qui paraît en même temps que l'essai de Monique Slodzian, en témoigne.

http://www.tout-sur-limonov.fr/371489331

Il suffit d’énumérer quelques intitulés de têtes de chapitres pour en voir la teneur : « Monsieur le Président, ne jetez pas votre bloc-notes », « Pourquoi je n’ai pas tué Elstine », « À petit pays, petit amour », « Le deuxième assassinat de l’Union soviétique », « Les aventures d’un demandeur d’emploi », « Il y a trop de gens de droite », « La Guerre et la paix de Sakharov » « Je viens de Russie ».


L’extrême liberté de ton, le mélange des propos politiques avec des évocations de la vie quotidienne en ville ou à la campagne, donnent à ce livre tout son charme et son intérêt. Il tombe à un moment d’extrême tension suscitée par les événements d’Ukraine.

Que tout un chacun lise Zakhar Prilépine que beaucoup de gens en Russie considèrent comme le Maxime Gorki de notre temps.

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 Un extrait de l'interview accordée au Figaro par l'éditrice suisse (et traductrice) Fanny Mossière :

Zakhar Prilepine est populaire précisément en raison, de son engagement politique ; ses romans (pour la plupart traduits en français) mettent souvent en scène des activistes, généralement d'extrême gauche.  

Les jeunes écrivains décrivent la misère sociale, le chaos qui a suivi l'effondrement de l'URSS, la corruption, l'arrivisme et la perte de repères. Ils mettent en regard le passé soviétique avec la société actuelle. 

Beaucoup situent leurs textes dans les années 1990, marquées par la corruption et la désorganisation totale.  

 

Quelles sont leurs principales influences ? 

 

Les écrivains de la nouvelle génération traitent également des grands thèmes de la littérature universelle, comme l'amour, la mort, la relation à Dieu et à la nature. 

En cela, ils se réclament de la littérature russe des XIXe et XXe siècles et revendiquent l'influence de Tolstoï, Dostoïevski, Bounine, lauréat du Nobel en 1933. 

Pour d'autres,  Edouard Limonov  est la référence absolue.  

 

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Un texte de Monique Slodzian présentant son livre, "Les enragés de la jeune littérature russe", et parlant de la situation en Ukraine.  Ecrit en mai 2014.

Longtemps, je me suis tenue à l’écart de la littérature russe post-soviétique. Le post-modernisme qui a accompagné les « joyeuses années quatre-vingt-dix », celles qui ont vu l’apothéose néo-libérale dans la nouvelle Russie, ont produit une littérature falote et suiviste qui, à quelques exceptions près, s’abandonnait sans résistance au diktat commercial. Les grandes voix des précédentes décennies s’étaient tues ou étaient peu éditées. Je ne retrouvais plus l’intensité, la gravité parfois irritante des romanciers des années 60 et 70 que j’avais aimés et parfois traduits.

Il m’a fallu attendre la fin des années zéro (les fameuses années 2000) pour que je saute à nouveau dans le train russe et que je découvre, l’un après l’autre, des jeunes écrivains qui n’avaient pas froid aux yeux et débordaient de talent. Il avait fallu quinze années pour que naisse un courant nouveau capable d’empoigner la réalité sociale et morale de la Russie et d’en donner à voir la force explosive.

Limonov, le romancier-poète qui avait fait scandale en Occident leur avait transmis l’audace de rompre les ponts avec la complaisance de l’esthétique en place et de concevoir la littérature comme arme politique.

Membres ou compagnons de route du mouvement clandestin national-bolchévique, ils refusaient les règles du libéralisme qui avait, sous leurs yeux, détruit leur pays et confisqué son passé soviétique, à commencer par la victoire de la seconde guerre mondiale, si chèrement acquise.

À les lire, j’ai mieux compris l’étendue de leur frustration. Les racines et l’ambition de leur patriotisme. En même temps, je me suis interrogée sur les raisons de l’incompréhension profonde, quasi insurmontable, à laquelle ils sont voués en Europe occidentale. Et, pas à pas, j’ai tenté de dissoudre les obstacles qui peuvent éloigner le lecteur français de ces jeunes écrivains passionnants. Pour qu’il ait hâte d’aller chercher dans leurs livres des clés moins convenues qui lui donnerait accès à une Russie qu’on présente trop souvent comme définitivement hostile et impénétrable.

Je ne crois pas avoir dissimulé les difficultés auxquelles j’ai buté au cours de ce voyage en terres « natsbol » ni estompé les désaccords avec telle ou telle position que je juge excessive ou dangereuse; mais le plus important restait à mes yeux la reconstitution d’un patrimoine culturel, moral et politique volé, qui puisse aujourd’hui guider le lecteur dans sa découverte d’une autre Russie qui tourne le dos au destin libéral que l’Occident avait tracé pour elle.

En prenant la Lettre à Staline de Prilépine comme entrée en matière, j’ai voulu donner d’emblée la température du débat d’idées. Un brûlot pour dire le temps des catacombes: le scandaleux pamphlet a provoqué un électrochoc qui n’en finit pas d’enflammer les débats au sein de l’intelligentsia russe. Il surprendra tout autant le lecteur français. Pour autant, mon objectif n’est pas de mettre en avant la singularité de ces jeunes gens mais de donner à comprendre les origines de leur rage et la générosité de leurs positions. Il y va de la compréhension de la nouvelle Russie, désormais immunisée contre les illusions du néo-libéralisme. Car nos médias sont dangereusement borgnes, incapables de s’affranchir d’un manichéisme anti-russe datant de la propagande de la guerre froide.

En lisant Prilépine ou Chargounov, qu’apprenons-nous d’essentiel pour le présent ?

Grâce à eux et à leur engagement de longue date en faveur de la langue russe dans l’espace de l’ex-URSS, on apprend par exemple qu’en Ukraine la bombe à retardement, placée dès le début des années 1990 et réactivée par la révolution orange, finirait par exploser. Refuser à la langue russe le statut de seconde langue officielle alors qu’elle est la langue maternelle d’une moitié de la population était pure provocation. La menace de guerre civile en Ukraine ne date donc pas de l’automne dernier, comme veulent le croire nos médias. Il est urgent de réviser notre lecture des événements d’Ukraine. Le scénario est plus compliqué, nous disent nos jeunes écrivains, qui nous en livrent des clés indispensables, dans leurs écrits politiques ou leurs blogs

Pendant des semaines, nos médias se sont contentés d’un récit simpliste. Le coupable était le président Ianoukovitch, homme de paille de Poutine, qui en novembre dernier a voulu tuer le rêve européen du peuple en suspendant l’accord d’association avec l’Union européenne. Grâce à dieu, Maïdan, version 2014 de la révolution orange de novembre 2004, a eu raison du tyran, nous dit la version officielle. Or, notons-le au passage, celui qui était le président légitime avait été le premier ministre du héros de 2004, Iouchenko, entre-temps pitoyablement passé à la trappe de l’histoire.

A dire vrai, Ianoukovitch, Iouchenko, Timochenko … autant de fortunes faites sur le démembrement de l’industrie soviétique, des oligarques qui s’entendent comme larrons en foire. Leurs affidés qui guignent aujourd’hui le pouvoir suprême avec la bénédiction des Etats-Unis et de l’Europe sont encore plus riches : magnats de l’industrie, de la finance, du pétrole et des médias. Souvent tout cela à la fois. Prenez Igor Kolomoïski, patron de PrivatBank, la banque aux 2017 filiales, mais aussi de plusieurs autres combinats sidérurgiques et pétroliers qui vivent sur les bords du lac Léman.

Tourtchinov, président par intérim, pour ne pas dire illégitime, s’est empressé de le nommer gouverneur de la région de Dniepropetrovsk. Ou encore, tenez, Petro Porochenko, le richissime roi du chocolat, le financier de la révolution orange et de Maïdan et, dit-on, des milices qui assaillent aujourd’hui Slaviansk. Ministre des Affaires étrangères sous Iouchenko, il annonça dès 2009 l’entrée prochaine de l’Ukraine dans l’OTAN. Soupçonné de corruption, il se fit oublier quelque temps avant de revenir sous Ianoukovitch comme ministre du commerce et du développement économique. Dans une Ukraine occidentale épuisée et perdue, rien d’étonnant qu’il soit aujourd’hui le favori des sondages pour d’hypothétiques élections présidentielles. À la grande satisfaction de l’Occident, faut-il l’ajouter ? Son ascension semble inéluctable.

Le 6 mai, un autre cap a été franchi dans l’indécence. Nos médias le diront-ils? Après le drame d’Odessa, c’est l’un des proches amis du gouverneur Kolomoïski, l’oligarque Igor Palitsa, son voisin des bords du lac Léman, qui va remplacer le gouverneur de la région d’Odessa, Vladimir Nemirovski, protégé de Ioulia Timochenko et tenu pour responsable du dérapage tragique. Palitsa, lui, est député de Lviv – la région où le Secteur droit est le plus solidement implanté – et membre du parti « Notre Ukraine-Autodéfense du peuple ». On aura une idée de sa volonté de médiation lorsqu’on saura qu’en 2012, il fut l’auteur d’un projet de loi contraignant tous les fonctionnaires, de l’Est comme de l’Ouest, à passer un examen de langue ukrainienne. C’est également de Lviv que sont venus, au début de Maïdan, les appels à la « lustration » des fonctionnaires qui avaient servi sous l’Ukraine soviétique.

Bref, on n’ose deviner ce que promet à l’Ukraine orientale le tandem Kolomoïski-Palitsa qui, à eux deux, pèsent plusieurs milliards de dollars. Mercenaires, miliciens du Secteur droit, « bataillon de la mort », murmure-t-on déjà, gageons que ces messieurs ne se refuseront rien pour faire régner l’ordre à leur profit.

Comment expliquer que l’élite politique européenne ignore aussi cyniquement le rôle grandissant de l’oligarchie financière dans l’Ukraine en feu? A moins d’imaginer, comme le fait Limonov dans son dernier blog, que l’Ukraine, le plus beau morceau du gâteau soviétique qui restait à croquer, vaille bien qu’on s’acoquine une fois de plus avec des fripouilles. Et tant pis pour Maïdan.

                                                                   Monique Slodzian