LIMONOV, ICÔNE HIP HOP
L'article d'Igor Antonovski, journaliste russe, spécialiste de musique.
ÉTRANGE LIMONITE
Par Igor Antonovski .
Article paru dans
le magazine Métropolis Septembre 2013
Traduction : Thierry Marignac
Je me souviens être tombé un jour sur un article au
sujet d’une chanson du rappeur Kanye West intitulée « I’m a God », dont l’auteur qualifiait West de « plus grand égomaniaque
de l’humanité » (sic) avec un ravissement d’écolier, raison
pour laquelle on pouvait lui pardonner ses rimes sans queue
ni tête, et un phrasé loin d’être parfait.
Naïf...
C’est Édouard Véniaminovitch Savenko, alias Limonov, le
plus grand égomaniaque de l’humanité, et depuis plus de
trente ans.
Par rapport à notre Limonov, leur Kanye West est un
grand timide d’une modestie maladive.
L’IMPERTINENCE, LA MEILLEURE QUALITÉ DE LIMONOV
On a pas mal écrit sur Limonov. Mais nous allons aborder
quand même ce qu’il a fait pour le hip-hop à son âge
adulte. Il y a tellement à dire que nous considérons Limonov
comme le nègre russe le plus important depuis Pouchkine.
J’adore Edouard Limonov. Pour parler franchement, difficile d’y
résister. Il suffit de lire "LE LIVRE DES MORTS" [[[non traduit
en français - un scandale]]] où le vieux parle des disparus
sans la moindre révérence — c’est déjà bien, déjà insolent.
L’impertinence est l’une des qualités de Limonov, il excelle
dans le genre...
..On peut dire ce qu’on veut sur Limonov mais ce n’est ni un
lâche, ni un perdant. Il fonce sans souci des conséquences,
persuadé qu’il n’est pas pensable de s’abriter sous les
champignons géants du jardin d’enfants avec son verre de
vodka. Il se trimballe avec des couteaux et des flingues,
piétine ceux qui se trouvent sur son chemin et s’en sort
victorieux, jamais bidon.
C’est une issue vers un monde sans faux semblants — un
monde d’authentique gangsta-rapper.
Limonov s’efforce de confirmer son œuvre dans sa vie, une
biographie sans cesse recommencée; il croit
que seule une vie de combat peut lui permettre de
conquérir ce droit-là. Le droit de composer des odes « au
pain, à la viande et au cul » le droit de clamer : « I’m a
hassa, no I’m an asshole ».
SA CARRIÈRE A COMMENCÉ AU MARCHÉ CENTRAL DE
KHARKOV OÙ IL RÉCITAIT DES VERS, TANDIS QUE SON POTE,
LE GARÇON BOUCHER, FAISAIT LES POCHES DES
SPECTATEURS
Difficile d’imaginer un meilleur début à une carrière
hip-hop. Il fréquentait la délinquance, passait dansles trous
d’aération pour cambrioler, observait la façon dont les
voyous de Kharkov tuaient lors des attaques à main armée,
il faisait les sacs à main, et se tranchait les veines. Et tout
ça dans le pire ghetto de Kharkov. Ce genre d’enfance
aurait produit une bonne dizaine de Kanye West.
Mais Limonov était aussi inspiré, et rédigea "Autoportrait
d’un bandit dans son adolescence", pure poésie des rues,
scandée au rythme des râles de génitoires pubertaires.
Limonov écrivait des vers avec lesquels il partit à Moscou, en 1967.
Ces vers sont déjà du rap, ces strophes brisées, ce rythme
déchiré, sont impossibles à lire en solo, il faut les réciter à
voix haute, en transes.
Comment ne s’agirait-il pas de poésie authentique ? Il y a
ceux qui tirent à la Kalach, et ceux qui réveillent leurs
matous, pour les montrer aux amis. Les premiers sont des
poètes. Qu’on se souvienne du destin de Pouchkine.
DU SWAG ET DU TRAP COMME ON EN FAIT PLUS, DISCIPLINÉ ET DÉMENTIEL
L’essentiel, la rencontre des nègres, se produit plus tard
dans la vie de Limonov. Il vit avec eux dans un hôtel puant, à New York.
Il l’acceptent comme un des leurs et ensuite il arrive une
aventure restée célèbre. Existe-t-il dans la culture hip-hop
quelque chose de plus authentique que cette bite dans la
bouche telle qu’elle est décrite dans « Le Poète russe
Cette souffrance d’avoir été largué par sa
femme, ce danger omniprésent, cette fierté, avec laquelle
ce mec taille une pipe ? Un type supérieur s’abaissant à
sucer la bite d’un simple nègre. Ces pages, ces strophes
brillantes de la littérature russe doivent être scandées sur
les beat les plus lourds, c’est du SWAG et du TRAP,
discipliné et démentiel.
Il va sans dire que dans cette scène Limonov ne s’est pas
contenté de mêler la vie et son texte, mais il a créé la chair
de son œuvre littéraire. Bien qu’il ait déjà pas mal œuvré
pour le développement des lettres russes et planétaires.
Limonov vit son baptême du feu, et devient l’égal de
Pouchkine dans la littérature russe. Ils sont deux à se
dresser ainsi — les nègres inaccessibles.
Il termine son premier roman par ces mots « Je vous ai tous
baisé, salopes, tous baisé dans la bouche. Allez tous vous
faire foutre ». Limonov souligne qu’il se contente de le
murmurer, que ce n’est pas musical, que c’est l’imparfaite
conclusion d’un Track majestueux.
Limonov s’est toujours sapé comme un Dieu, c’est de
notoriété publique. Il a été tailleur, et l’élégance du vieux
bougre est reconnue même par ses ennemis. Quelques
indicateurs supplémentaires sur l’origine nègre de Limonov,
s’il fallait encore vous en convaincre. Je ne m’étendrai pas
sur ses nombreuses conquêtes féminines. Gangsta.
LIMONOV AFFÛTA SON STYLE JUSQU’À L’ÉPURE
Ensuite Limonov partit s’installer à Paris, coqueluche de la
gauche caviar, se balada en ville en capote de l’Armée
Rouge, baisant avec Natalia Medvedeva. Et il écrivit encore
une dizaine de textes géniaux, où l’on retrouve tout ce
qu’on peut se représenter de la culture hip-hop. Trouvez
donc un beatmaker digne de ce nom, et tant que Limonov
est de ce monde, qu’il les récite de sa voix haut perchée.
De quoi ébranler le monde. Les récits de la guerre serbe, les
mystères de Paris, les doctrines totalitaires. Les meutes de
loups de banlieue aux crânes rasés, qui se précipitèrent
vers Limonov et son parti.
Est-ce que Jay-Z ou RUN-DMC ont jamais eu des fans de ce
calibre même à la meilleure époque ?
Limonov affûta son style, sa prose était dépouillée
jusqu'à l’épure, il n’en restait que le muscle, les
muscles du nerf optique, de la langue, des poings — les
muscles qui portaient la vérité unique, subjective, un
regard hyperégocentrique sur le monde. La vie devenait
une œuvre artistique, et plus important encore : à la
différence de la plupart de ceux qui avait joué leur vie sur
l’autel du hip-hop, Limonov a survécu. Tupac Shakur,
Notorious B-I-G, ainsi qu’Alexandre Pouchkine, ils se sont
tous fait descendre.
Limonov était tellement balaise, qu’il s’est débrouillé pour
survivre à travers tout son destin total hip-hop.
Cependant, bien entendu, comme n’importe quel gangster
noir, on envoya Limonov en taule pour port d’arme prohibé.
Au trou, il parvint à vivre en harmonie, malgré les pages
célèbres, citées plus haut. Il vécut et se sentit à l’aise
parmi les taulards, cultiva son bronzage, eut l’expérience
religieuse de l’extase.
Les récentes visions métaphysiques de Limonov ces
dernières années ne font qu’ajouter à son charme. Il ne
s’est pas fait élire à la présidence, même le président noir
des Etats-Unis n’est pas un rapper. Il n’est pas encore
temps pour le hip-hop de prendre le pouvoir. S’arracher de
ses charnières, c’est ce qu’il y avait de plus digne pour cet
homme-là, dans la vie duquel on trouve tout.
(…)
N’OUBLIEZ PAS QUI EST LE PARRAIN
Le nègre Limonov continue à crier dans les micros sur
les places publiques, rassembler les meutes de jeunes et
d’affamés et termine ses discours en disant que c’était sa
dernière oraison en date. Et c’est très juste, en effet, la
culture hip-hop vient des sermons protestants, à pleins
tubes, enragée, criarde, musicale — comme toute l’œuvre
de Limonov. Comment pourrait-il finir de scander ses textes
autrement ?
Il est plein de force, d’énergie, et tire encore des
jeunesses. C’est un nègre, un créateur et un gourou, et à
une époque où les étoiles du hip-hop sont les personnalités
les plus importantes du temps présent, il a mérité le titre
d’étoile première classe, devant toutes les autres. Du
reste, c’est lui-même qui se l’est approprié.
Et tout ça pour dire que la prochaine fois que vous écrirez
quelque chose sur Kanye West et ce genre de gusses,
n’oubliez pas qui est le patron, qui est le parrain.
Igor Antonovski, 25 septembre 2013.
----- ----- ----- ----- -----
Cet article d'Igor Antonovski a été traduit par Thierry Marignac, qui le présente ainsi sur le blog antifixion : http://antifixion.blogspot.com.es/2013/09/limonomaniaque.html
29.9.13
Au lien ci-dessus, on peut trouver la version russe de l'article traduit ci-dessus. À Antifixe, il nous a bien fait rigoler, rappelant un vieil article du magazine hip-hop noir Vibe, dans lequel Bonz Malone, marlou noir roi de la matraque, devenu journaliste après quelques séjours à la prison de Riker's Island racontait son admiration pour Sinatra dans un papier intitulé: The Duke.
Le rital d'Hoboken impressionnait le petit gangster black du Bronx : Ava
Gardner, Sam Giancana, Fat Tony Salerno (cet ex-garde du corps de Sinatra répondit au juge qui l'engueulait de s'être endormi à son procès:" La dernière fois que j'ai ouvert l'œil, Monsieur le juge, vous m'avez condamné
à un siècle…") les smokings, les femmes, la pègre et les Oscars. Damn !… s'était dit Bonz Malone, la classe !…
On verra ici
le même exercice, Limonov comme icône hip-hop, par un journaliste russe de rap.
Le réel tel qu'il n'est jamais
perçu par ceux qui savent tout, et ne connaissent rien, les grandes consciences et les enfonceurs de portes ouvertes qui n'ont pas sauté un seul repas de leur vie.
----- ----- ----- ----- -----
Voir la 1ère page, très complète, de ce site consacré à Edouard Limonov :