Véra Nikolski étudie ce que représente le national-bolchévisme et le néo-eurasisme en Russie.
Elle a rencontré Edouard Limonov et Alexandre Douguine.
Livre basé sur sa thèse de doctorat.
Quelques extraits de cet ouvrage de 424 pages.
Editions Media Critic 2013
DEUX LEADERS ADULÉS
par Véra Nikolski
Outsiders reconvertis en politique à l'occasion de la crise 1985-1993, Alexandre Douguine et Edouard Limonov ont tous deux des parcours originaux qui les dotent de ressources atypiques pour le champ politique. Leurs parcours sont pourtant très différents.
En qualité de chefs d'une organisation militante, ils cultivent chacun une image de soi particulière, reflet à la fois de leur trajectoire et de la position qu'ils détiennent ou cherchent à détenir dans le champ.
Tous les deux occupent, à l'intérieur de leur organisation, une position d'exception, personnalisant le pouvoir et faisant l'objet d'un véritable culte.
Limonov et le parti national-bolchévique
Fort de son passé (sans doute en partie reconstruit) de baroudeur, Limonov campe un "pur et dur", leader d'un parti radical.
Habillé presque toujours de noir, souvent en veste de cuir, Limonov porte des lunettes, a les cheveux grisonnants, une moustache et une petite barbe lui donnant une ressemblance certaine avec Léon Trotski.
Lorsqu'il a accepté de m'accorder un entretien, Limonov m'a invitée chez lui. Un militant du NBP est venu me chercher sur le quai de la station de métro la plus proche (j'ai été priée de le reconnaître grâce au journal qu'il tenait à la main) et m'a accompagnée jusqu'à l'appartement.
En chemin, nous avons croisé un autre militant, qui sortait apparemment de chez Limonov ; deux autres s'y trouvaient encore lorsque nous sommes arrivés. Durant l'entretien, quelqu'un est parti, quelqu'un d'autre est arrivé.
L'ensemble laissait une impression d'allers et venues permanents, et une ambiance de travail affairé : Limonov a ainsi plusieurs fois interrompu l'entretien pour répondre aux sollicitations des militants sur des "questions urgentes".
L'appartement lui-même était extrêmement austère : sols de bois brut (rarissime à Moscou), aucun meuble de confort, beaucoup de livres et de grandes affiches du parti.
Dans ses interventions et discours au parti, ses articles dans LIMONKA et surtout dans ses ouvrages, Limonov met également en avant un ensemble de traits moraux tout à fait singuliers.
Exploitant le genre autofiction, il est lui-même la matière de ses propres écrits, la majeure partie de ses ouvrages étant consacrée à ses aventures, à ses réflexions et à ses exploits, décrits avec une grande complaisance envers lui-même : écrivain génial, Limonov serait également un homme politique visionnaire, un soldat aguerri et un amant hors pair.
En somme, il est un "héros" parfait, comme il l'explique dans la bien nommée ANATOMIE DU HÉROS dont le premier chapitre propose une interprétation de la vie de l'écrivain à l'aune de celles de Beowulf et de Che Guevara.
La grandeur du héros s'oppose à la petitesse de ses concurrents : "Sacha, vous êtes vain comme une puce", dit par exemple Limonov de Douguine dans l'un de ses livres.
Condamné parce que grand, le héros affronte seul les affres de l'Histoire et renvoie les autres à l'oubli.
Détenu à la prison de Lefortovo, Limonov décrit ainsi les visions qui l'habitent :
"Les deux amis de ma jeunesse révolutionnaire (Douguine et Taras Rabko) qui se sont, chacun à leur tour, révélés être des renégats et des traîtres au Parti National Bolchévique, se projettent d'eux-mêmes sur le mur de la cellule de Lefortovo, fraîche, couleur merde de veau.
Les deux amis ont pris la tangente à temps, échangeant l'Eternité de l'Histoire pour la Vie. La vie a ses avantages. La lourdeur puissante de l'Histoire, de cuivre et de bronze, a ses avantages aussi.
C'est plus difficile pour moi, chaque journée en prison me pése, et même l'expédition au bain ressemble au lavage avant la chambre à gaz.
Mais on ne peut pas nier l'intégrité de mon caractère. C'est l'éternité qui se joue à Lefortovo. C'est la tusovka qui se joue à Moscou" (Limonov, 2002)
C'est la même grandeur qui domine dans la vision que Limonov donne de sa relation avec les jeunes militants. "J'étais le guide du parti" remarque-t-il avec délectation à longueur de pages où il retrace, dans les moindres détails, sa biographie politique.
"Vraiment, parfois je me regarde dans le miroir et je me dis : mon Dieu, j'ai créé tout ça" confie-t-il, à propos du parti, dans notre entretien (entretien Limonov, 16 mars 2005).
Cette autosatisfaction manifeste où se mêlent la présentation de soi comme une figure historique, persécutée car crainte du pouvoir, et comme le leader d'un groupe de jeunes dont il est le guide suprême pourrait être aisément mise sur le compte de l'illusion.
Cependant, les jeunes militants, comme nous avons pu l'observer, reprennent largement à leur compte la vision héroïque que Limonov a de lui-même, lui vouant un véritable "culte de la personnalité".
Ancien ami et un temps allié politique de Limonov, l'écrivain patriote Prokhanov le commente ironiquement : "Limonov a créé un culte du leader, ils l'adorent... C'est étonnant pour nos partis sclérosés"
Le vocable Vojd' que Limonov utilise fréquemment pour s'autodésigner, désigne dans la langue russe les chefs de clan, par exemple dans les tribus indiennes, mais aussi les dirigeants suprêmes de l'URSS, notamment Lénine et Staline. Vojd' ,tout grandiloquent et chargé de connotations historiques qu'il soit, est utilisé par les militants pour évoquer le leader de l'organisation. Le site Internet des Natsbols comprend par exemple une rubrique "La parole au Vojd' " où Limonov publie ses analyses du jour, mais le mot est également employé couramment, notamment lors des entretiens.
Ma présence sur le terrain m'a permis de constater que les militants ont, en entretien comme dans les conversations informelles, une admiration sans faille pour Limonov, qui frise parfois l'adoration. Ses rares apparitions dans les réunions hebdomadaires de parti sont ainsi accueillies avec une attention extrême et aucune contradiction ne s'exprime à propos de ses interventions.
Le simple fait de mentionner aux militants que j'ai obtenu une interview de Limonov provoque un étonnement mêlé d'envie.
Mon carnet de terrain consigne ainsi l'une des réactions à cette information, lâchée dans une conversation informelle avec plusieurs militants, dans le métro : "Tu as parlé à Limonov ? Limonov lui-même ? Ca alors ! Moi, je suis au parti depuis un an, et je ne lui ai jamais parlé personnellement. Je n'ai pas osé encore... Et alors, vas-y, dis, il est comment alors, dans une conversation ?"
Un peu plus tard, le même militant trouve enfin une explication logique à la faveur qui m'a été accordée : "Ah mais tu es Française, c'est pour ça ! C'est pourquoi tu as pu lui parler comme ça. Il a longtemps vécu en France, tu le sais ?"
Dans les interactions que j'ai pu observer entre les natsbols et les membres d'autres formations de jeunesse (lors de manifestations ou de meetings conjoints par exemple), il est arrivé plusieurs fois que les militants du NBP soient amenés à défendre Limonov contre des attaques évoquant notamment son homosexualité - bruit très répandu depuis son premier roman autobiographique qui comporte des scènes homosexuelles ("Le poète russe préfère les grands nègres" 1980).
Leur défense vigoureuse était alors centrée autour du courage de Limonov, notamment lors de son incarcération, qui prouve sa "virilité".
L'adhésion affective des jeunes militants à Limonov s'exprime à plusieurs niveaux. D'abord, au niveau le plus public, les militants assurent à leur chef des apparitions spectaculaires lors des marches et meetings : l'entourant d'une garde rapprochée, ils suivent chacune de ses harangues en scandant aux moments stratégiques de l'intervention des slogans préparés en avance.
Le slogan le plus "personnifié" est : "NOTRE NOM, C'EST EDOUARD LIMONOV", crié plusieurs fois en choeur.
Or, à notre connaissance, à l'exception de Poutine dans certains rassemblements des jeunesses pro-Kremlin, Limonov est le seul leader dont le nom est aujourd'hui scandé par ses troupes dans les évènements publics.
Durant son incarcération, le slogan "LIBÉREZ LIMONOV" était l'inscription dont les natsbols décoraient le plus fréquemment les façades des bâtiments publics lors de leurs "actions directes".
A un niveau plus privé, à l'instar du militant admiratif parce que j'ai pu obtenir une interview avec Limonov, les jeunes membres du NBP cherchent le contact avec leur leader et sont toujours volontaires pour lui rendre des services : ainsi, l'un des militants interrogés a-t-il été, durant plusieurs années, le chauffeur personnel de Limonov.
Véra Nikolski
Véra Nikolski, docteur en science politique de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est chercheur associée au centre européen de sociologie et de science politique (CESSP-Paris).
Ce livre de 424 pages est basé sur sa thèse de doctorat.
Editions Media Critic - 2013 - 28 euros
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Voir la 1ère page (très complète) de ce site consacré à Edouard Limonov :
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Douguine : "Limonov le vampire"
Un cri de haine et de jalousie d'Alexandre Douguine, le chef
de file du néo-eurasisme. C'est un document qui date de
2006.
Douguine avait participé à la création du Parti National
Bolchévique ( NBP ) d'Edouard Limonov en 1993, et était parti 5 ans plus tard.
Il est devenu ensuite un fervent partisan de Poutine.
Dans ce texte, Douguine réclame (avec des arguments
délirants) la dissolution du parti national-bolchévique, qui
interviendra un an plus tard, en 2007.
Du grand n'importe quoi, mais c'est tordant !
Dans un récent entretien accordé au site www.kreml.org et
intitulé "Il faut dissoudre le Parti national-bolchévique car
son chef est un vampire", Alexandre Douguine a accusé
Edouard Limonov de prendre exemple sur la comtesse
Bathory qui se baignait dans le sang de vierges pour rester
éternellement jeune.
Au yeux de Douguine, Limonov sacrifie des jeunes gens
en les envoyant en prison à cause des actions provocatrices
qu’il les incite à commettre et qui n’ont qu’un seul but :
rehausser sa réputation d’écrivain contestataire et radical.
Selon Alexandre Douguine, Edouard Limonov n’est pas
intéressé par la politique mais seulement par l’écriture de sa
biographie, un récit sordide de sa vie excentrique. Les
membres du NBP ne sont donc pour lui rien de plus que des
faire-valoirs dans son grand complot égomaniaque.
Limonov a l’air si jeune, explique Douguine, uniquement parce
qu’il cache métaphoriquement son âge sous une lotion qui est
composée de l’énergie des jeunes gens qu’il attire et qu’il
exploite. Il dévore ses partisans comme un vieux vampire
boit le sang des enfants. [[[ et sûrement aussi leur sperme tant
qu'on y est !!! ]]]
Quand j’ai parlé personnellement à Douguine, il m’a dit que
Limonov n’avait pas la moindre idée de l’essence de l’idéologie
nationale-bolchevique.
Si Douguine a fondé originellement le NBP et recruté Limonov
comme tête d’affiche [ réécriture de l'histoire ! ] afin d’attirer les
jeunes grâce à sa popularité d’écrivain, il a finalement quitté le
parti dégoûté par le culte de la personnalité qu’y avait instauré
les partisans de celui qui n’aurait du être que son second.
Dans l’entretien
accordé à www.kreml.org, Douguine accuse le
PNB de risquer la liberté de ses jeunes membres en les
poussant à s’engager dans des activités insensées et
imprudentes. Ce qui, à ses yeux, rend les actes des cadres
dirigeants du NBP encore plus répréhensibles est le fait qu’ils
sont pleinement conscients que la plupart des jeunes qu’ils
recrutent ne sont pas capables d’envisager les conséquences
que peuvent entraîner les actions qu’ils accomplissent.
Douguine affirme que ces adolescents sont des pigeons et que
le seul but de leur militantisme est de redonner de l’éclat à la
carrière littéraire d’un écrivain tragiquement vieillissant (à la
fois intellectuellement et physiquement).
Constantin von Hoffmeister - 2006
Douguine en 2012
Limonov en 2014
Les propos d'un Douguine un peu moins exité, dans une interview accordée à Arnaud Guyot-Jeannin pour le
Choc du Mois. Numéro de janvier 2008 :
"Edouard Limonov est un écrivain sincère mais égocentrique et dépourvu d'idées politiques claires. Il demeure un anarchiste qui aime provoquer, scandaliser et séduire le public par un mélange d'érotisme pervers et morbide et des déclarations scandaleuses et extrémistes.
Je pensais au début des années 1990 que le personnage, qui était énergique et activiste, pouvait attirer l'attention de cercles assez vastes sur le national-bolchevisme. Nous avons donc fondé un mouvement de jeunes appelé Parti national bolchevique.
Après notre rupture survenue dans les années 1996-1997, le PNB s'est vite dégradé en perdant tout lien idéologique avec le national-bolchevisme. Dans les années 2000, il s'est même transformé en mouvement pro-atlantiste et antirusse, voulant devenir, dans la Russie renaissante de Poutine, une force comparable à la «révolution orange» pro-occidentale en Ukraine !
Avec le recul, je pense que cet épisode était ambivalent : d'un côté, l'intérêt pour le national-bolchevisme a constitué vraiment un réveil ; de l'autre, l'absence d'approche politique sérieuse de la part de Limonov en a discrédité le nom même. La perversion du contenu a été le prix à payer pour une propagande médiatique assez grande."
Alexandre Douguine
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9 ANS PLUS TARD
EXTRAIT d'une longue interview d'Alexandre Douguine dans le numéro 163 de la revue ÉLÉMENTS
(nov/décembre 2016)
Question d'Alain de Benoist :
- L'opposition libérale à Poutine est connue, mais elle n'est pas la seule.
Que dire des jeunes écrivains antilibéraux comme Zakhar Prilepine ou Sergueï Chargounov, actifs dans le groupe "L'Autre Russie" (le parti de Limonov) ou "Stratégie 31" (mouvement également lancé par Limonov), qui n'hésitent pas à se définir comme nationaux-bolcheviks ou "conservateurs révolutionnaires" en se réclamant d'une nouvelle forme de "socialisme russe" (le style patsane) ?
Alexandre Douguine :
- Les jeunes nationaux-bolcheviks actuels, par opposition à ceux des années 1990, qui étaient avant tout des idéalistes, sont plutôt des opportunistes qui ont suivi Limonov dans sa période libérale.
Limonov a conservé l'étiquette de "national-bolchevik" que je lui avais proposée, mais il ne s'y est jamais vraiment indentifié. C'est un personnage inclassable, très individualiste, qui est avant tout préoccupé d'affirmer son ego par rapport au reste du monde.
Pour Limonov, il y a lui d'un côté, et de l'autre tous les autres. Comme il est énergique et très talentueux, il peut donner à son combat individualiste un côté non conformiste, en combinant toutes les idéologies radicales de droite et de gauche, mais cela ne l'a pas empêché, toujours par anticonformisme, de faire un bout de chemin avec les libéraux face à Poutine.
Les motivations de Limonov ne sont pas idéologiques, mais artistiques ou littéraires. Sa seule idéologie consiste à chercher toutes les occasions de faire parler de lui.
Pour ma part, je trouve que Chargounov et ses amis sont moins talentueux que Limonov.
Ils cherchent en l'imitant à s'intégrer à l'establishment culturel et politique, mais ils manquent de profondeur et de radicalité. Le
non-conformisme est pour eux une manière de se promouvoir, ce qui explique qu'ils aient successivement soutenu les libéraux et les nationalistes de Novorussia. Ce sont en quelque sorte des sous-produits du "limonovisme".
Retour sur le livre de Véra Nikolski
Véra Nikolski, docteur en science politique de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est chercheuse associée au centre européen de sociologie et de science politique (CESSP-Paris).
Ce livre de 424 pages est basé sur sa thèse de doctorat.
Editions Media Critic - 2013
Voici les 3 premières pages pour vous mettre en appétit :
Le 14 décembre 2004, le fonctionnement routinier du parloir de l'administration présidentielle de la Fédération de Russie, situé non loin du Kremlin, a été perturbé par un évènement exceptionnel : un groupe d'une quarantaine de jeunes gens a fait irruption dans le bâtiment pour exiger une rencontre avec le Président, puis, devant le refus du personnel, a occupé l'un des bureaux du parloir, pour s'y barricader en exigeant des pourparlers avec le président et le vice-président de l'administration présidentielle (respectivement Dmitri Medvedev et Vladislav Surkov) et le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine.
L'occupation du bureau a duré 35 minutes, temps nécessaire aux agents du Service de Protection Fédérale (FSO) pour arriver sur les lieux, débloquer la porte et arrêter les jeunes gens.
Les quarante individus arrêtés appartenaient tous à une organisation militante connue sous le nom du Parti National Bolchévique (NBP).
Le déroulement de l'évènement, ainsi que son dénouement (l'arrestation des participants) ressemblaient à ceux de plusieurs autres "actions directes" conduites par les membres de cette organisation depuis 1998 : l'occupation de la tour du Club des Matelots à Sébastopol le 24 août 1999 (jour de l'indépendance de l'Ukraine), celle de la tour de la Cathédrale Saint-Pierre à Riga le 17 novembre 2000 (la veille du jour de l'indépendance de la Lettonie), et davantage encore celle du bureau du ministre de la santé, Mikhaïl Zurabov, le 2 août 2004.
Je n'ai pas assisté à l'action directe du 14 décembre 2004. Cependant elle a très directement influencé le déroulement de la recherche que j'ai menée dans le cadre de
ma thèse de doctorat (Nikolski, 2010).
Je m'intéressais au départ à la façon dont la "transition démocratique" en Russie s'est accompagnée
d'une floraison de discours critiques sur la démocratie et le libéralisme, et aux usages de ces discours par des acteurs de différents types.
Je tentais donc de repérer les principaux producteurs de ce discours - professionnels de la politique, essayistes, journalistes, écrivains, universitaires - ainsi que ses récepteurs, notamment les partis et les organisations politiques.
Parmi ces derniers, j'avais très rapidement découvert le groupuscule NBP dont le site Internet officiel frappait l'oeil et l'esprit par son esthétique provocante ( le parti mêle la symbolique d'extrême gauche et d'extrême droite ) et son syncrétisme doctrinal qui entend lier les arguments de la critique nationaliste et sociale de la démocratie libérale.
Le document fondateur de l'organisation, son "programme" de 1994, affirme, dès son tout premier point que "l'essence du national-bolchévisme, c'est la haine consumante à l'égard du SYSTEME
anti-humain de la trinité libéralisme/démocratie/capitalisme", et que son "but global" est "la création d'un Empire de Vladivostok à Gibraltar sur la base de la civilisation russe".
Les autres textes ( en particulier les articles du journal officiel du parti, LIMONKA, et les ouvrages du leader de l'organisation, l'écrivain Edouard Limonov) confirment l'impression de radicalité qui se
dégage de la présentation de soi que le NBP cherche à donner à travers son site.
Radicale, l'organisation est également marginale, le nombre de ses membres ne semblant pas excèder quelques milliers dans la Russie entière. Si l'organisation tombe dans le champ de mes intérêts, rien ne la prédestine alors à en devenir le centre.
L'affaire des "décembristes" (*1) , comme les médias - et le parti lui-même - se sont empressés de qualifier l'incident, lui a pourtant donné une résonance médiatique relativement importante.
Le procés qui a suivi, bénéficiant d'une couverture abondante, était lui aussi singulier, à commencer par les chefs d'inculpation, les 39 national-bolchéviques ( ou natsbols, auto-désignation reprise par les médias) étant initialement jugés pour tentative de prise illégale du pouvoir (inculpation ultérieurement requalifiée en participation aux troubles de l'ordre public) et risquant jusqu'à 20 ans de prison ferme.
A travers cette action directe et le procès qui a suivi, qui ont contribué l'un et l'autre à sortir de l'anonymat les actions directes précédentes, l'organisation NBP a acquis une visibilité nouvelle.
Parallèlement, l'hiver 2004-2005 était le moment de l'agitation sociale la plus importante de toute la décennie 2000 : plusieurs initiatives du gouvernement en matière sociale, notamment le projet de loi sur la "monétisation des avantages sociaux" (*2) , avaient provoqué des manifestations d'une ampleur inédite sous la présidence Poutine.
Au premier rang de toutes les mobilisations, occupant le terrain avec ses drapeaux voyants et ses jeunes militants ( qui tranchaient avec le gros des manifestants, souvent agés, les retraités étant le première catégorie visée par le projet de loi sur la monétisation), le NBP avait le vent en poupe, semblant à l'époque quitter le statut de phénomène marginal pour devenir un acteur important de la rue, sinon du jeu politique.
C'est en février 2005 que j'ai physiquement rencontré les militants du NBP pour la première fois, à l'occasion d'une manifestation des forces de l'opposition - regroupant, outre le NBP, les partisans du KPRF, principal parti communiste de la Russie post-soviétique, et de plusieurs autres organisations de petite taille - en l'honneur de l'Armée Rouge, où les national-bolchéviques représentaient un cortège réduit ( quelques 150 militants ), mais énergique.
Rangers, vestes de cuir, attitude belliqueuse, drapeaux et brassards à la symbolique provocante (le drapeau du NBP est un mélange du drapeau et nazi), les militants avaient une apparence plutôt intimidante. Pendant le meeting qui a suivi le défilé, une jeune fille a attiré mon attention. Arborant le brassard du NBP, elle portait une boîte surmontée d'une affiche avec plusieurs photos et l'inscription "Aide aux prisonniers politiques". Elle déambulait dans le meeting, abordant les participants pour leur proposer de déposer de l'argent dans la caisse. Lorsqu'elle a abordé des personnes qui se tenaient juste à côté de moi, j'ai entendu qu'elle leur parlait de "natsbols prisonniers". Une très vieille femme, certainement une militante du parti communiste, est alors arrivée spontanément vers elle pour mettre une petite pièce dans sa boîte, marmonnant d'une voix compatissante : "Voilà pour les jeunes, pauvres jeunes, qu'ils sont braves !". Physiquement absents, les militants condamnés, ou en procès, étaient donc d'une certaine façon bien présents.
Cette première rencontre m'a laissé une impression ambivalente. D'un côté, un certain nombre de signes - l'habillement, la façon de défiler, le salut, les slogans, l'idolâtrie du leader du parti (l'un des slogans scandés durant le meeting était ainsi "Notre nom est EDOUARD LIMONOV !") - tendaient à faire classer spontanément le NBP dans le rang des organisations "extrémistes" ( et donc moralement répréhensibles). De l'autre côté, le groupe semblait se poser en défenseur des libertés civiles.
Voici donc une organisation qui semble présenter, au regard extérieur naïf, une "idéologie" nationaliste et anti-libérale radicale, qui pousse ses militants à des actes de bravoure ( car il faut de la bravoure pour affronter la répression physiqudes forces de l'ordre et le risque d'emprisonnement ) , et qui se targue d'avoir des "prisonniers politiques", victimes du régime répressif de Poutine, comme aurait pu le faire une organisation de défense des droits de l'homme des plus classiques."
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Un excellent documentaire, primé dans de nombreux festivals, permet de voir ces manifestations, et vivre de l'intérieur la vie de militants du NBP.
Pour voir ce documentaire :
http://www.tout-sur-limonov.fr/222318813
(*1) -- Les "décembristes" sont les participants au soulèvement du 14 décembre 1825 visant à empêcher l'accession au trône du tsar Nicolas 1er. Membres de la noblesse libérale, ils avaient préparé le soulèvement au sein de plusieurs sociétés secrètes . Après l'échec du soulèvement, cinq décembristes avaient été pendus, et plusieurs exilés en Sibérie. Héros de plusieurs poèmes de Pouchkine, qui fut l'ami de certains d'entre eux, les décembristes sont un symbole de révolte désintéressée et romantique.
(*2) -- Cette loi fédérale n° 122 du 22 août 2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, consistait à remplacer une série d'avantages en nature (gratuité des transports, des médicaments et des soins médicaux, etc.) dont jouissaient certaines catégories de la population (retraités, vétérans, handicapés, etc.) par des compensations monétaires.
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