Limonov : "L'Ukraine est une invention"

                                                KIEV KAPUTT   

 Sortie du livre en France : le 2 novembre 2017 

Aux Editions "La Manufacture de livres" dans la collection ZAPOÏ. 

"Kiev Kaputt" est le journal tenu par Edouard Limonov pendant la crise ukrainienne.

Un livre regorgeant d'informations sur les évènements de Crimée et du Donbass.

2.000 partisans de Limonov se sont portés volontaires pour combattre dans le Donbass depuis 2014.

Edouard Limonov lui-même est allé sur le terrain soutenir ses partisans. 

On trouve dans Kiev Kaputt des analyses souvent prophétiques, et toujours la griffe du grand écrivain qu'est Limonov.

Même ses adversaires politiques sont obligés de le reconnaître en Russie.  

 

                         Introduction de l'auteur

"C'est mon journal des évènements d'Ukraine en cours que contiennent ces pages.

De la révolution nationale bleue et jaune sur la place de l'Indépendance à Kiev, en passant par le retour de la Crimée au sein de la Russie, le soulèvement au Donbass, la trêve, les élections parlementaires à Kiev, et finalement, les élections organisées par les volontaires dans les républiques de Donetsk et Lougansk.

Plus loin ce journal s'interrompt au seuil de l'avenir, mais il est clair que la guerre est devant nous. Sa durée dépendra de Moscou.

Pour quelle raison ai-je décidé de publier ce journal ?

Parce qu'une époque entière s'abîme sans laisser de trace dans le gouffre du temps, alors qu'avec un livre on a l'espoir de la préserver. Il est possible qu'à l'instar d'une bouteille jetée à la mer par des naufragés, ce livre parvienne jusqu'aux rives du futur. Et que les hommes futurs soupireront et nous exprimerons, à nous les disparus, leur sympathie.

Mais il se peut aussi que le futur soit si horrible pour eux, qu'ils se diront avec mélancolie : comme la vie était douce, mélancolique, en 2014."

                                                    Edouard Limonov - KIEV KAPUTT 

Interview radio de Limonov sur la RTS

 
  
Limonov et le journaliste suisse de la RTS Philippe Revaz  - A Moscou chez Limonov

                                       

                        Interview radio en français

 

Voici une excellente interview en français d'Edouard Limonov réalisée pour l'émission "Forum" de la  RTS, la radio nationale suisse.

Elle date du 11 mai 2014.

Limonov parle de lui et de la situation en Ukraine. 

 

                                 POUR L'ÉCOUTER :

http://www.rts.ch/play/radio/forum/audio/edouard-limonov-un-resistant-nationaliste-devenu-star-de-la-litterature?id=5822861
 

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En février 2015, le 1er quotidien italien, IL CORRIERE DELLA SERA a publié une grande interview d'Edouard Limonov, sur deux pages, dans son supplément dominical la LETTURA.   

 

NOUS SOMMES L'EUROPE ET L'UKRAINE EST UNE INVENTION 

Via : http://ed-limonov.livejournal.com/

                  TRADUCTION DE L'ARTICLE

 

"Depuis un an (depuis 2014), la société russe a radicalement changé.

Nous avions vécu plus de 20 ans d'humiliations, en tant que pays et en tant que peuple. Nous avions subi défaite après défaite.

Le pays que les russes avaient construit, l'Union Soviétique, s'était suicidé. Un suicide assisté auquel ont participé des étrangers cupides.

Nous sommes restés pendant 23 ans en pleine dépression collective.

Le peuple d'un grand pays a un besoin constant de victoires, pas nécessairement militaires, mais il doit se voir comme un vainqueur.

La réunification de la Crimée à la Russie a été vue par les russes comme la victoire qui nous avait manqué pendant si longtemps. Enfin! Cela a été quelque chose de comparable à la Reconquête espagnole."  

                                                                       Edouard Limonov                                                                                                                                          

2015 - Chez Limonov à Moscou. Photo Paolo Valentino - Corriere della Sera - On peut agrandir.

"Vous, les occidentaux, ne comprenez rien à ce qui se passe", commence-t-il, tout en offrant une tasse de thé.

 

        QUESTION : Qu'est-ce que nous ne comprenons pas ?

 

LIMONOV : Que le Donbass est peuplé de russes. Et qu'il n'y a aucune différence avec les russes qui habitent dans les régions voisines , en Russie, comme Krasnodar ou Stavropol : même peuple, même dialecte, même histoire. Poutine a tort de ne pas le dire clairement aux USA et à l'Europe. Il en va de notre intérêt national.

 

     - Donc pour vous, l'Ukraine c'est la Russie ?

 

- Non, pas toute entière. L'Ukraine est un petit empire, composé de territoires pris à la Russie, et d'autres pris à la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Hongrie.

Ses confins étaient les frontières admnistratives de la République socialiste soviétique d'Ukraine. Les frontières n'ont jamais existé. C'est un territoire imaginaire, qui, je le répète, n'existait qu'à coup de décrets adminstratifs.

Prenez Lviv, la ville considérée comme la capitale du nationalisme ukrainien : saviez-vous que l'Ukraine l'a reçu en 1939 par la signature du Pacte Molotov-Ribbentrop?

A ce moment là, 57% de la population était polonaise; pour le reste, principalement des juifs, et pratiquement pas d'ukrainiens.

 Le sud du pays a ensuite été donné à l'Ukraine après avoir été conquis par l'Armée Rouge. C'est ça l'Histoire.

Mais ensuite, quand l'Ukraine s'est séparée de l'Union Soviétique, elle n'a pas restitué ces territoires, à commencer par la Crimée, donnée en cadeau par Khrouchtchev en 1954.       

Je ne comprends pas pourquoi Poutine a encore peur de dire que le Donbass et la Russie, c'est la même chose.

 

      - Peut-être parce que ce sont des territoires reconnus au niveau international.

 

- Quand le territoire de l'Union Soviétique a été dépecé, en 1991, la communauté internationale s'en est bien moqué. Quelqu'un a dit quelque chose ? Non.

  C'est ce que je reproche à l'Occident : appliquer le double langage aux relations internationales : certaines règles pour les pays comme la Russie, et d'autres pour l'Occident.

Il n'y aura pas de paix en Ukraine tant qu'ils n'auront pas libéré leurs colonies, j'entends le Donbass. Poutine a tort de ne pas le dire ouvertement.

 

      - Peut-être Poutine agit-il ainsi parce qu'il ne veut pas annexer le Donbass, comme il l'a fait avec la Crimée, car cela ne fait que créer des problêmes.

 

- Vous avez peut-être raison. Peut-être qu'il n'aurait pas voulu annexer la Crimée. Mais c'était son devoir, que cela lui plaise ou pas. Il est le président de la Russie. Et il risquait gros.

 

    - Un risque limité tout de même, car sa popularité reste supérieure à 80%.

 

- IL bénéficie encore de l'effet d'inertie créé par la Crimée. Mais s'il abandonne le Donbass, en laissant faire le gouvernement de Kiev, avec des milliers de volontaires russes qui risqueraient d'être tués, sa popularité fondrait comme neige au soleil. Pour l'instant cela ne semble pas le cas, mais Poutine est coincé.

 

       - Que va-t-il faire, selon vous ?

 

- Il réagit bien. IL est en train de se radicaliser. Il a compris que les accords de Minsk étaient une farce, ils ne font qu'aider le président ukrainien, Porochenko. Même s'il n'en a pas envie, il devra agir.

Il y a un an, quand le problême de la Crimée a surgi, Poutine était omnibulé par les Jeux Olympiques de Sotchi, qu'il considérait comme son grand oeuvre. Il était heureux.

Il a été obligé de mettre en pratique les plans préparés par l'armée russe, qui évidemment existaient depuis longtemps.

           La Crimée a été une victoire pour Poutine, bien que ce soit malgré lui.

         Le Donbass n'était absolument pas dans son horizon. Les pays occidentaux l'accusent de vouloir l'annexer, mais il est en fait très hésitant.

 

      - Après l'Ukraine, quels seront les prochains territoires à reconquérir ? Les pays baltes ?

 

- Non, évidemment pas. Pour en revenir à l'Ukraine, je crois qu'elle devrait exister comme Etat, composé des seules provinces occidentales qui peuvent être considérées comme ukrainiennes. Ce n'est pas moi qui vais nier leur culture exceptionnelle et leur belle langue. Mais je le répète : qu'ils libérent les territoires russes.

 

        - Vous avez beaucoup attaqué Poutine dans le passé : alors est-il, oui ou non, le leader dont a besoin la Russie ?

 

- Nous avons un régime autoritaire. Et Poutine est le leader que nous avons. Il n'y a aucun moyen de le faire partir.

Mais il y a une différence entre le Poutine des deux premiers mandats et celui d'aujourd'hui.

Le premier fût catastrophique, avec son complexe d'infériorité d'ancien petit officier du KGB. Il aimait la compagnie des leaders internationaux : Bush junior, Schröder, Berlusconi.

Mais il a appris avec le temps. Il s'est amélioré. Il a dit adieu aux paillettes, et s'est mis au travail sérieusement. Il est dans une époque difficile, et il fait ce qui est nécessaire.

Il est impossible aujourd'hui de lui demander de ne pas être autoritaire.

 

       -  La Russie peut-elle ne pas être un pays autoritaire ?

 

 - Si Obama continue à dire qu'il faut nous punir, alors cela nous oblige à avoir des leaders autoritaires.

 

           - Que représente pour vous la Russie ?

 

- La plus grande nation européenne. Nous sommes deux fois plus nombreux que les allemands. A vrai dire, nous sommes l'Europe. La partie occidentale est un petit appendice, non seulement en terme de territoires, mais aussi de richesses.

 

        - En vérité, l'Union Européenne est la première puissance commerciale du monde.

 

- Il y a des choses plus importantes que le commerce et les marchés.

 

        - Si vous êtes la plus grande puissance européenne, pourquoi êtes vous aussi nationalistes  ?

 

- Nous ne sommes pas plus nationalistes que les français ou les allemands.

Nous sommes une puissance plus impériale que nationaliste.

Je vous rappelle que plus de 20 millions de musulmans vivent en Russie, mais ce ne sont pas des immigrés, ils sont là depuis toujours.

Nous sommes anti-séparatistes. Certes, il y a encore en Russie un nationalisme ethnique, fort heureusement minoritaire, et qui crée quelques problêmes.

Je ne suis pas un nationaliste russe, je ne l'ai jamais été.

Je me considère un impérialiste, je veux un pays avec toute sa diversité, mais rassemblé par la civilisation , la culture et l'histoire russe.

 La Russie ne peut exister que comme une mosaïque.

 

         - Mais faites-vous, ou non, partie du monde occidental ?

 

- Ce n'est pas important. C'est une question dogmatique, sans signification réelle.  La Corée du Sud fait-elle partie du monde occidental ? Non, et pourtant, elle est considérée comme telle. Où est la frontière de l'Occident ? Ce n'est pas important pour les russes.

 

        - Qu'est ce qui distingue l'identité russe ?

 

- Notre histoire. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, mais pas pires non plus. Nous n'acceptons pas d'être traités comme des inférieurs, laissés de côté, ou pire, humiliés. Cela nous fait enrager. C'est notre état d'esprit actuel.

 

         - L'Occident se réclame des valeurs de la Révolution Française : démocratie, séparation des pouvoirs, droits de l'homme. La démocratie fait partie de vos valeurs ?

 

- Pour les russes, la notion la plus importante et fondamentale est celle du spravedlivost. Cela signifie justice, dans le sens de justice sociale, équité, aversion pour les inégalités. Je pense que notre spravedlivost est très proche de ce que vous appelez  démocratie.

 

           - Les sanctions et la crise économique peuvent-elles menacer les positions de Poutine ?

 

- Je pense que dans le monde d'aujourd'hui, l'économie est surévaluée.

Ce sont les passions qui sont le moteur de l'histoire.

On peut résister aux pressions économiques. Et nous résisterons. Mais il faudra que Poutine fasse ce qu'il doit faire dans le Donbass.

Regardez notre histoire : le siège de Leningrad, la bataille de Stalingrad. Nous pouvons le faire.

ILs sont nombreux, dans l'Histoire, à s'en être pris à nous, de Napoléon à Hitler.  

Mais l'orgueil national russe pèse plus que les politiques économiques, et je pense bien connaître le caractère de mon peuple.  

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 Il a tout fait et tout été dans sa vie. Edouard Veniaminovitch Savenko, alias Edouard Limonov.

Voyou de banlieue, journaliste, peut-être agent du KGB, mendiant, vagabond, majordome d'un nabab progressiste américain, poète, écrivain à la page dans les salons parisiens, dissident, irrésistible séducteur, sniper avec les Tigres d'Arkan au moment de la décomposition de la Yougoslavie, leader politique, fondateur du Parti national-bolchévique, avant qu'il ne soit dissout, et qu'il crée le parti L'Autre Russie.

   Mais Limonov, âpre comme l'agrume dont lui vient son pseudo, est surtout un anti-héros, un esthète du geste, un outsider qui a toujours choisi, volontairement, le camp qu'il ne fallait pas, sans être jamais pour autant un perdant.

Au fond, Edouard Limonov est un grand exhibitionniste, qui n'a jamais eu peur des risques et de payer au prix fort toutes ses aventures . Par exemple avec  2 ans et demi de prison, dont une dizaine de mois passés dans la colonie pénitentiaire numéro 13, dans la steppe, aux abords de Saratov, en 2003.

Il peut sembler paradoxal que pour la première fois dans sa vie pleine de dangers, le personnage rendu célèbre par le livre homonyme d'Emmanuel Carrère , ne se retouve plus en marge, dans les catacombes de l'histoire nationale russe, comme un excentrique charismatique capable d'entraîner derrière lui quelques dizaines de desperados.

Bien au contraire, il est aujourd'hui en plein  mainstream ,  chantre de l'inspiration nationaliste, qui s'est propagée dans l'esprit collectif de la nation russe, en raison des évènements en Ukraine et de la réaction des pays occidentaux.

 

    Limonov  nous reçoit dans son petit appartement au centre de Moscou, près de la place Maïakovski.

Un jeune homme grand et robuste vient nous chercher à quelques rues de là, et nous conduit jusqu'à l'immeuble.  Un autre gars baraqué nous ouvre la porte blindée. Ce sont ses militants, qui lui servent de gardes du corps.

Il aura bientôt 72 ans, et malgré sa chevelure argentée, il en paraît vingt de moins.

Mince, le visage étroit avec son célèbre bouc, il est habillé tout en noir, avec un pantalon ajusté, une veste sans manches, et un pull à col roulé.

Il parle d'une voix douce, un peu rauque. Il a un comportement calme, une certaine douceur, en contradiction apparente avec la fureur qui a marqué sa vie.  

                            Paolo Valentino   -   IL CORRIERE DELLA SERA 

8/02/2015  

 http://lettura.corriere.it/io-limonov-noi-siamo-leuropa-e-lucraina-e-uninvenzione/

 

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Une autre interview de Limonov, le 25 janvier 2015, au principal quotidien du CHILI, "EL MERCURIO" 

Par Maria Starostina 

                       TRADUCTION 

"Nous sommes en train de vivre la reconquête des terres russes" 



   En Russie, vous êtes connu comme un écrivain et homme politique, tandis que pour le reste du monde, notamment en Amérique latine, vous êtes avant tout le  personnage du livre d'Emmanuel Carrère. Cela ne vous dérange pas d'être perçu avec le filtre de ce journaliste français ?



- Le livre de Carrère est une chance, il aurait pu ne pas être publié. Il est vrai qu'il a vu Edouard Limonov à travers ses yeux d'écrivain bourgeois français. Je n'ai jamais donné mon avis au sujet du livre, et je vais m'abstenir à nouveau. Cependant, il est clair que son livre a augmenté mon influence dans le monde, et c'est positif. Il m'a analysé, comme il a pu, pour les lecteurs étrangers.



Comment pensez-vous profiter de cette nouvelle popularité dans les pays occidentaux? Qu'est ce que cela signifie pour vous?



- Je ne sais vraiment pas comment je peux utiliser cette popularité. Je ressens une sorte de joie maligne d'avoir pu m'imposer à EUX (les majuscules sont de Limonov) tel que je suis, sans m'être plié à LEURS normes, à LEUR "politiquement correct".



En mars dernier, quand la Russie a annexé la Crimée, vous l'avez approuvé avec enthousiasme. Sentez-vous la même chose aujourd'hui ?



Après la désintégration de l'Union soviétique, l'Ukraine a gardé l'héritage que lui  avait octroyé Moscou. La république ukrainienne a réussi à avoir un grand nombre des terres qui ne lui appartenaient pas: une partie de la Pologne, une partie de la Roumanie, de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie. Et plusieurs territoires russes, le Donbass (est de l'Ukraine), la Crimée, Odessa et certaines provinces du sud: Kherson et Nikolaev. 

   L'Ukraine a le droit d'exister, mais en restituant ces territoires, qui sont en fait ses colonies, et alors le pays serait très petit. Je suis très heureux que la Crimée soit redevenue Russe, et que le Donbass russe se soit soulevé. Nous vivons la reconquête des terres russes.



Vous avez participé à plusieurs guerres : en ex-Yougoslavie, en Abkhazie et en Transnistrie. Pourquoi n'êtes-vous pas aujourd'hui dans l'est de l'Ukraine avec une arme à la main ?



J'étais au Donbass, dans la province de Lugansk (Ukraine orientale) en Décembre. J'y suis allé seul, sans la presse, je suis allé sur le front. Certains militants de mon parti, Drugaya Rossiya (l'Autre Russie) combattent là-bas. Il y a des blessés et des morts.

Kiev ne parviendra jamais à reconquérir ces territoires, et pourtant l'armée ukrainienne a déja fait couler des riviéres de sang dans cette zone. Le Donbass  ne fera  plus jamais parti de l'Etat ukrainien. Et pourtant, la guerre continue à cause des actions indécises des autorités russes.



Vous vous êtes depuis toujours prononcé en faveur d'une Russie forte. Comment voyez-vous aujourd'hui le pays sur la scène internationale?



Après 23 années d'humiliation et de défaites, le peuple russe a retrouvé l'espoir. La reconquête va continuer et peu importe que l'Occident le veuille ou pas. La Russie s'est réveillée. Nous avons fait plaisir à l'Occident au cours des 23 dernières années parce que nous obéissions et nous cédions sur tout. Mais aujourd'hui, nous nous soulevons et nous réclamons nos droits.



Partagez-vous le point de vue consistant à dire que nous vivons une nouvelle guerre froide ?

 


La guerre froide était une bonne période. En Europe, au moins, il n'y a pas eu de conflits sanglants. Qu'y avait-il de mal dans la guerre froide ?  Qu'elle recommence.



Depuis le début du XXI siècle, la Russie est associée principalement avec Vladimir Poutine. Vous êtes son adversaire, l'ancien chef du Parti national bolchevique, aujourd'hui interdit, et vous l'avez fortement critiqué à plusieurs reprises.  ¿ Poutine est votre ennemi ?



Poutine est un dirigeant autoritaire, mais plutôt doux, il pourrait être plus dur. La devise des nationaux-bolcheviques, c'est «la Russie est tout, le reste n'est rien." Nous n'associons pas la Russie avec Poutine, il est juste l'un des dirigeants russes d'une époque troublée.  

  Ce que Poutine a fait en politique étrangère, c'est de ne pas empêcher ce qui allait arriver de toute façon. S'il s'était opposé au référendum en Crimée, le peuple russe ne l'aurait pas pardonné.    Mais dans le Donbass, Poutine est trop indécis. 

Et en politique intérieure, c'est un dirigeant autoritaire libéral. Je suis en faveur du socialisme populaire en Russie. Et parler «d'ennemi ou d'ami» est une logique en noir et blanc.



Y a t-il des politiciens en Russie qui pourraient remplacer Poutine aujourd'hui ?



En 1994, j'ai proposé de suivre la même politique étrangère que  Poutine commence à réaliser, lentement, aujourd'hui, d'abord avec la Crimée.

C'est moi, qui à l'époque, ai défendu la "politique de l'intérêt national" .  Mais le pouvoir était déjà aux mains de la mafia de Boris Eltsine, et Poutine en a hérité en 2000.

D'un point de vue historique, j'aurais pu être utile à la Russie en 1994. 

Vladimir Poutine est juste un produit de son temps. Ce n'est pas un philosophe, pas un Lénine, c'est juste un homme assez moyen, avec du bon sens. Il ne faut pas exagérer en parlant de lui comme quelqu'un de foncièrement mauvais.

L'Occident ne comprend pas que la réunification de la Crimée avec la Russie était un rêve sacré pour le peuple de cette péninsule depuis 1991. Ce n'est pas un plan macabre de Poutine.

L'Occident ne comprend pas que dans le Donbass "ukrainien" vivent les mêmes Russes qui parlent le dialecte du sud de la Russie, comme dans les provinces de Rostov, Krasnodar et de Stavropol.

        

    Interview au quotidien chilien EL MERCURIO  -   25/01/2015 

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L'OBS du 27 Août au 2 Septembre 2015
 
 
ÉDOUARD LIMONOV :"POUTINE UTILISE MES IDÉES" 
   
Opposant à Poutine, dirigeant du parti l'Autre Russie, l’écrivain publie un nouveau roman politique et donne un entretien radical sur l’idéologie du régime, tout en soutenant l’annexion de la Crimée.
 
 
De notre envoyé spécial à Moscou, Jean-Baptiste Naudet.
 
 
Il ne donne pas son adresse. Un «homme sûr» viendra nous chercher à une station de métro du centre de Moscou pour nous conduire, par un dédale de rues, de passages, de cours, jusqu'à son appartement. Il en change souvent. Il se sent menacé.
 
On sonne. Il nous attend et déverrouille une lourde porte en acier, puis une autre. Il sourit. On le dit désagréable, odieux même. Il est gentil, doux et poli. Ce sont «les mauvais garçons», explique-t-il, qui lui font cette réputation de «méchant garçon», car «on peut être radical et sympathique».
 
Acide comme un limon («citron» en russe), explosif comme une limonka («petite grenade») qu'il a tatouée sur un bras, Edouard Limonov n'est ni ce qu'on dit de lui, ni ce qu'il paraît, ni sans doute ce qu'il veut qu'on croie qu’il est.
Poète, écrivain, activiste, homme politique, impérialiste russe — mais pas nationaliste étroit —, c’est un «extrémiste», un radical, de gauche et de droite à la fois. Il a fondé en 1993 le parti «national-bolchevique», interdit en 2007 et aujourd'hui remplacé par la formation l'Autre Russie.
 
La biographie que l’écrivain français Emmanuel Carrère a écrite sur lui l'a rendu célèbre dans le monde entier. Mais, à 72 ans, Limonov continue le combat.
   
Il vient d'écrire un nouveau roman, "Le Vieux", où il raconte ses récentes expériences politiques, ses démêlés avec la police de Vladimir Poutine, ses séjours en prison.
 
 
— Dans votre roman, vous ne faites pas preuve de beaucoup de modestie. C'est un concept bourgeois, la modestie ?
 
 
— Ce n'est pas ça. C’est peut-être mon âge. J'ai 72 ans et c’est le moment des accomplissements. Je connais ma valeur, mon importance. Pas plus, mais pas moins non plus.
 
 
— En France, un roman politique serait sans doute ennuyeux. Pourquoi le vôtre ne l’est-il pas ?
 
 
— Avec « Soumission », Houellebecq a aussi écrit un livre politique. Evidemment, il est toujours dans son rôle de bourgeois pourri, moitié je ne sais quoi, moitié Bukowski raté. Mais c'est quand même un vrai livre politique.
 
 
— Pourquoi refusez-vous de commenter la biographie qu’Emmanuel Carrère a écrite sur vous ?
 
 
— Ma bonne éducation m’interdit de donner mon avis. Emmanuel Carrère a créé un mythe. Il parle de moi comme d’un écrivain qui est déjà mort. Je suis pragmatique : il a écrit un best-seller vendu dans une trentaine de pays, même au Japon. Et ce qui compte dans ma vie, ce sont les victoires. Avec l’aide de Carrère, fils d’une famille renommée, je suis arrivé à une place où je n’espérais pas arriver. Dans toutes les familles bourgeoises, dans toutes les bibliothèques. Tout cela me donne un plaisir malin.
 
 
— Ce qui est étrange dans votre dernier livre, c’est que vos idées paraissent plus proches de celles du pouvoir, que vous combattez, que de celles des libéraux avec lesquels vous êtes dans l'opposition. Plus proche de Poutine que d’un Nemtsov, le leader libéral assassiné.
 
 
— Mais Nemtsov n’était même pas libéral ! Il était le joker de Boris Eltsine. Il devait lui succéder, il était même préféré à Poutine. Alors Nemtsov était devenu amer. Il était jaloux du destin incroyable du petit Poutine. On le voit lors des manifestations : ces libéraux sont des oiseaux qui tweetent tous les jours, une classe de bourgeois apeurés, bons à rien.
 
D’un autre coté, vous, les Occidentaux, vous exagérez l’importance de Poutine. J’ai formulé depuis plus de vingt-cinq ans l’idéologie de notre Etat national. Je ne soutiens pas Poutine, c'est une idiotie de dire ça, mais il a utilisé une partie de mes idées. Ce n'est pas moi qui soutiens Poutine mais lui qui soutient mes idées ! Il a été forcé de réaliser certaines d’entre elles, comme la réunification de la Crimée avec la Russie.
 
 
— Vladislav Sourkov, qui passe pour l’idéologue du régime de Poutine, s’est-il inspiré de vous ?
 
 
— Ce n'est pas moi qui le dis. Tout le monde le sait. Sourkov n’a pas d’idées à lui seul. Il prend des idées à droite, à gauche, et il les assemble. Contrairement à lui, moi, j’ai mes propres idées. Je ne suis ni de droite ni de gauche. Mon premier parti était moitié de droite, moitié de gauche. C’était une nouveauté dans le monde idéologique. Dans la société moderne, il n’est pas possible de garder cette pureté idéologique qui date de la Révolution française. Notre réalité est totalement hybride. Par exemple, nous avons le Parti communiste russe qui croit en Dieu, en l’Eglise. Et moi, je suis un hérétique.
 
 
— Vous êtes impérialiste mais pas un nationaliste russe. Quelle est la nuance ?
 
 
— Chez nous, nous ne pouvons avoir un Etat avec une seule ethnie. La Russie compte par exemple une vingtaine de millions de musulmans. Des musulmans qui n'arrivent pas d'Algérie ou d’ailleurs, comme en France. Ce sont des musulmans qui ont toujours habité ici, depuis des siècles. Ils sont des nôtres.
 
 
— Comment analysez-vous la position de Poutine sur l'Ukraine?
 
 
— Il faut comprendre le comportement de Poutine. Il était très satisfait de ses jeux Olympiques, le plus grand événement de sa vie. Il avait beaucoup préparé ces étranges jeux Olympiques d'hiver dans cette région subtropicale de Russie, à Sotchi. Et tout à coup, à Kiev, surgit la révolution de Maïdan, à mon avis menée par les nationalistes ukrainiens.
Poutine était coincé. Il ne savait que faire. Alors il s’est tourné vers la Crimée, où j’avais manifesté plusieurs fois pour demander la réunification avec la Russie.
Poutine avait un problème grave. Il savait alors que notre peuple ne lui pardonnerait pas s’il ignorait le désir de la Crimée de se réunifier avec la Russie. Il connaissait le danger. Il savait que l’Occident serait contre lui. Mais il n’avait pas le choix. Pour la Crimée, la Russie avait un plan depuis longtemps, comme les militaires planifient tout.
 
Finalement, Poutine a trouvé le courage de lancer ce défi à l’Occident. Il a fait la réunification. Et celle-ci le propulsait au septième ciel, sa popularité frisait les 90%. Mais voilà que commence le soulèvement dans le Donbass [par les séparatistes armés prorusses, dans l'est de l'Ukraine, NDLR]. Poutine n’en voulait pas. Il avait peur de rompre avec tout le monde à cause de cette terre sans grand intérêt Alors, depuis un an et demi, il essaie de se débarrasser de ce problème. Ce n'est pas lui qui a lancé cette révolte. Ce n'est pas l’armée russe, comme en Crimée. C’est le peuple. Il veut arrêter cette guerre. Il viole le Donbass. Il est l’ennemi du Donbass.
 
 
— Quelle est la position de votre parti, l'Autre Russie, sur l'Ukraine ?
 
 
— Notre parti a des groupes qui se battent là-bas, dans le Donbass. Nous avons eu des morts, des blessés. Nous organisons ces volontaires. Je l’ai dit dès 1992 : nous avons laissé hors de Russie 27 millions de Russes et un jour nous devrons les réunifier avec la Russie les armes à la main. Et nous devrons aussi prendre les villes du nord du Kazakhstan, qui sont des villes russes.
Qu’est-ce que l’Ukraine ? J’y ai vécu les vingt-trois premières années de ma vie, à Kharkov. Les Ukrainiens habitent le centre du pays, le reste, ce sont des colonies ukrainiennes, conquises par l'URSS et non par les Ukrainiens. L’Ouest a été pris à la Pologne. L'Ukraine a ses colonies, au sud aussi. Dans leurs rêves les plus débiles, les gens d’Odessa ne se sont jamais sentis ukrainiens. Odessa, c’est international, c'est juif, grec, russe mais pas ukrainien !
 
 
— Mais en 1991 la Crimée a voté majoritairement, à 54%, pour l'indépendance de l'Ukraine...
 
 
— En ce temps-là, le peuple soviétique ne comprenait pas du tout ce qui l’attendait. Il pensait qu'avec le partage de l’URSS il aurait une vie paradisiaque. C'était une escroquerie que de donner le droit de voter à des gens qui ne comprennent rien du monde. Tout a changé depuis 1991. L'Ukraine peut exister comme un pays indépendant, comme un Etat. Mais elle doit rendre ses colonies, sinon elle vole un héritage à la Russie.
 
 
— Pour arriver à cette solution, c'est la guerre ?
 
 
— Oui, c'est la guerre. En ce moment, l’Ukraine vit une passion nationale, mais elle ne doit pas toucher les territoires d'Odessa, de Kharkov. Il y a une répression sévère des partisans de Moscou en Ukraine. Tous les leaders prorusses sont considérés comme un danger. Après les manifestations pour Moscou, le SBU [les services secrets ukrainiens] arrête les opposants. C’est pourquoi il y a peu de manifestants pour la Russie.
 
 
— Comment analysez-vous le personnage de Poutine ?
 
 
— L’actuel Poutine est le résultat de l’influence de deux parties de sa vie. Il a d 'abord été un officier du KGB à un poste insignifiant à Dresde, en Allemagne de l’Est. Que pouvait-il faire à part lire les rapports de la Stasi, qui était sans doute la police politique la plus puissante du monde ? Le KGB ne voulait plus de lui. Mais en travaillant quinze ans dans cette organisation, Poutine a adopté sa mentalité, son regard répressif sur le monde.
La deuxième partie de sa vie, la plus importante, c’est son travail à la mairie de Saint-Pétersbourg pour le maire libéral, Anatoli Sobtchak. C'est là qu'il s’est fait beaucoup de relations. Et Poutine reste totalement fidèle à ces deux faces contradictoires de sa vie. Depuis Saint-Pétersbourg, il croit totalement au libéralisme, au capitalisme, au marché mondial. Tout en gardant la mentalité d’un « guébiste » des années 1980, avec un zeste de modernité.
 
 
— Vous faites de la littérature avec de la politique ou l'inverse ?
 
 
— Je ne me divise pas. Je suis passionné par la politique quand il y a du sang, du danger. J’ai été trois ans en prison. Plus de 300 personnes de notre parti sont passées dans les prisons russes depuis 1989. Nos militants sont arrêtés, parfois lourdement condamnés.
Sous Poutine, quatorze de nos militants ont été tués dans des circonstances telles que nous ne doutons pas que c’est le pouvoir qui les a fait supprimer. Dans le Donbass, au mois de mai, sous l’influence de la Russie et du FSB [ex-KGB], des militants de notre parti ont été arrêtés, puis expulsés de la république de Donetsk car ils voulaient ouvrir un bureau. On nous laisse mourir pour le Donbass mais pas y avoir une influence politique.
 
 
— Donc, vous reconnaissez que le FSB a une grande influence dans le Donbass ?
 
 
— C'est clair. Il n'y a aucun doute.
 
 
— Et ce ne serait pas les services russes qui auraient organisé la révolte dans le Donbass ? L’homme fort des séparatistes, Strelkov, leur ministre de la Défense, était bien du FSB ?
 
 
— Oui, Strelkov, je le connais personnellement, était un officier du FSB mais qui a désobéi aux ordres. Et s’il est encore vivant, c’est un miracle.
 
 
— Où en est votre parti et la Russie aujourd’hui ?
 
 
— En tant que parti d’opposition, nous vivons la pire des situations. Il y a les difficultés que nous rencontrons dans le Donbass. Et l'échec des manifestations de l'opposition en 2012, après les élections, nous a aussi touchés. De plus, avec le conflit en Ukraine, le pouvoir est devenu très populaire. Malgré la crise économique et les sanctions à cause de cette guerre, le pouvoir peut rester populaire.
Les Russes sont capables d’encaisser cette crise. Ils peuvent sacrifier un certain niveau de vie pour des idées. Depuis vingt-trois ans, depuis l’effondrement de l’URSS, nous vivions une dépression nationale. Nous étions devenus un peuple insignifiant. Avec la Crimée, nous sommes sortis de cette dépression. On le voit sur le visage des gens.  

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