"MES PRISONS" - Ecrit en prison en 2002

 Edouard Limonov : "MES PRISONS"

 

L'un des 8 livres écrits par Limonov pendant son incarcération, de 2001 à 2003

 

En avant-propos, la romancière Ludmila Oulitskaïa écrit : « Aujourd'hui, près de un million de personnes, 893 600 très exactement, sont détenues dans les prisons russes. La durée moyenne d'incarcération varie entre neuf et dix ans.»

Faut-il dire qu'Edouard Limonov a eu de la chance, lui arrêté en avril 2001 et libéré fin juin 2003 ? Non. Car en réalité c'est une accusation bidon et un procès truqué qui l'ont conduit en prison.

 

• Incarcéré d'abord dans une prison moscovite, Limonov, évoque ici sa détention à Engels et à Saratov où son procès s'est tenu. Pour son arrestation et sa libération on se reportera au livre d'Emmanuel Carrère.

 

« Ballotté par les vents mauvais de l'engrenage judiciaire » Limonov nous fait bien comprendre que la privation de liberté est un thème fondamental de la vie russe et il utilise couramment dans son témoignage le mot "zek" pour désigner le prisonnier comme dans un livre de Soljenytsine. Sans pour autant s'ériger en véritable martyr du pouvoir post-soviétique, il fait de sa critique un leitmotiv convaincant qui vise les policiers violents, les juges aux ordres, et les politiciens soumis au tyran du sommet de l'Etat.

 

• Le « petit moujik en touloupe à la Pougatchev », comme il se présente lui-même, devient ethnologue pour distinguer les zeks des différentes nationalités de la Fédération, et sociologue pour opposer aux prisonniers d'antan fidèles à la loi de leur milieu les nouveaux délinquants issus de la corruption et du cercle des entrepreneurs règlant leurs comptes à la kalachnikov. D'où une belle galerie de portraits. Un certain Youra, haut-fonctionnaire de Saratov qualifié ironiquement de "ministre de la culture", attire sur son cas les flèches qui visaient les fonctionnaires corrompus avec une verve qui n'est pas sans rappeler Gogol.

 

• Au fil des pages, — sous ce titre qui reprend celui de Silvio Pellico — le lecteur découvre des anecdotes inattendues et parfois émouvantes. Ici l'auteur se plonge dans la biographie de Lénine avant 1917 en ironisant sur son parti alors plus virtuel que bolchevique. Là, lors d'un transfert, il est accueilli d'un ironique « C'est Ben Laden qui vient nous rendre visite !» — par des prisonniers qui savent que Limonov est accusé à tort de terrorisme. Ne pouvant assister aux obsèques il compose un poème pour son épouse Natacha « cette femme étrange », « cette étoile noire », rockstar morte d'overdose au début de 2003 et dont il était séparé depuis 1995.

 

• Comme tout prisonnier, il est préoccupé par l'emploi de son temps. Bien que — par coquetterie  — il refuse la pose de l'intellectuel, il voudrait éloigner les taulards de leur drogue la plus courante : la télévision qui passe des séries policières et qu'il juge assommante.

« Emprisonné à Lefortovo et ensuite dans la cellule 125, j'ai compris que la télévision pouvait être un châtiment. Dans la 125, j'ai agi bêtement et obtenu moi-même le privilège qu'on ne coupe pas le courant de l'heure du réveil jusqu'à l'extinction des feux. Dans la 156, déjà mûri par l'expérience, je me soumets de bon gré au caprice de Nikolaï, l'électricien du couloir : la lumière s'éteint toutes les deux heures pendant deux heures.» Comme quoi la prison peut servir à quelque chose.

 

Edouard LIMONOV  -  Mes Prisons  - Traduit du russe par Antonina Roubichou-Stretz. Actes Sud, 2009, 283 pages. 

 

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