"LE VIEUX" d'Edouard Limonov à la radio

Voir d'abord la 1ère page (très complète) de ce SITE sur LIMONOV :

       http://www.tout-sur-limonov.fr/ 

 On a parlé d'Edouard Limonov pendant une heure, le samedi 5 septembre 2015 sur Fréquence Protestante (100.7 FM).

 

  L'occasion d'évoquer son oeuvre et son action, au moment de la sortie de son dernier livre, "LE VIEUX" (chez Bartillat).  

 

  Le responsable de ce site, José Sétien, était l'invité de l'émission "L'Amour des livres". 

 

                 A RÉÉCOUTER ICI : 

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Edouard Limonov étudié en détail sur FRÉQUENCE PROTESTANTE.
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Chers auditeurs, bonjour. Charles Ficat au micro. "L'Amour des livres" en cette rentrée 2015. 
Avec un sujet important, puisque nous allons aborder l'oeuvre et la vie de celui qui est probablement le plus grand écrivain russe vivant : Edouard Limonov.
Et avec nous dans le studio, pour en parler, J. Setien, qui est l'animateur du site "Tout sur Limonov".  

JS :  Voilà, disons que je fais ça pour m'amuser un peu, puisque c'est un auteur que j'aime, que je suis depuis quelques années. Il y avait beaucoup de choses sur Limonov en russe, mais moins en français, donc j'ai décidé de faire un site. 

 

CF : Et alors à ce titre, vous êtes probablement celui qui connait le mieux l'oeuvre de cet auteur hors pair dont vous suivez attentivement l'actualité. Dès qu'il y a une dépèche, un évènement, une publication, une interview, vous alimentez le site. 

 

JS : Oui, mais je n'ai pas voulu mettre tout ce que fait Limonov, parce que  ce serait vraiment énorme. En fait, c'est une sélection, un peu hiérarchisée, et je crois que les gens qui veulent avoir une première idée de Limonov, peuvent aller directement sur le site. 

 

CF :  Et avoir un aperçu général de son activité de manière trés équilibrée. 

 

JS : Voilà. C'est un site apolitique, si on peut dire :  je ne partage pas toutes les idées de Limonov, mais je trouve que c'est un homme extraordinaire, qui a vraiment une vision des choses très intéressante.  

 

CF : Alors justement, l'actualité de notre "Ecrivain international" (pour reprendre le titre de l'une de ses nouvelles), c'est la sortie, la semaine dernière de son nouveau roman, "Le Vieux", aux Editions Bartillat, dans une traduction de Michel Secinski.  

On avait publié l'an dernier un récit autobiographique écrit en prison, en 2002 : "Le Livre de l'eau". C'était un très beau livre, un témoignage autobiographique qui retraçait sa vie en fragments, à partir de l'élément aquatique.  

           Cette année, il s'agit d'un roman d'action, plus politique, qui est paru seulement en septembre 2014. 

 

JS :  Voilà, c'est tout chaud, c'est sorti il y a à peine un an en Russie. En fait, c'est un roman d'actualité... 

 

CF : Un récit politique de ses démélés qui nous montre que Limonov, à 72 ans aujourd'hui, reste d'une énergie et d'une force intacte, tant sur le plan physique que sur le plan intellectuel. 

 

JS : Absolument, c'est incroyable, on le voit tout au long du livre . A aucun moment, il ne cite le nom de Limonov, c'est ça qui est drôle. C'est "le Vieux", "le Vieux", il parle sans cesse du Vieux. Il y a une espèce de distanciation, et "Le Vieux", c'est lui, bien sûr. Il raconte toutes ses manifestations, et surtout, ses 15 jours de prison au tout début de l'année 2011.  

Il est régulièrement emprisonné, et d'ailleurs, au début des années 2000, il avait fait 2 ans et demi de prison, entre 2001 et 2003 pour tentative de coup d'Etat au Kazakhstan.

Ces dernières années, il a mené le mouvement "Stratégie 31" : tous les mois qui ont un 31, il organise une manifestation, en référence à l'article 31 de la Constitution Russe, qui garantit théoriquement le droit à manifester librement. Donc, c'est symbolique, et une fois sur deux, il était arrété, surtout entre les années 2010 et 2013.

  Cette fois, début 2011, il passe 15 jours en prison. C'est ce qu'il raconte dans le roman, et ça lui permet aussi de retracer tout son parcours d'opposant. 

 

CF : Et vous qui avez lu tout Limonov, comment avez vous reçu ce nouveau roman, par rapport à l'ensemble de sa bibliographie ? 

 

JS : C'est un roman politique. Un roman vraiment d'action politique, très vivant, facile à lire, très agréable. On voit un homme de 70 ans qui combat en Russie contre Poutine. Bon, on verra sa position a évolué maintenant, puisque depuis les évènements en Ukraine, il a un peu rejoint la position de Poutine, ou plutôt il dit que c'est Poutine qui le rejoint, qui utilise ses idées. C'est ce qu'il dit dans une interview à l'Obs. 

 

CF : Une interview parue la semaine dernière...  Concernant "Le Vieux", pour les lecteurs de Limonov, c'est un peu une surprise : on n'avait pas eu de livre vraiment récent de lui en français, parce que les derniers qui avaient paru, "Mes prisons", en 2008, chez Actes Sud, "Le Livre de l'Eau" , l'année dernière, en 2014, c'étaient des titres qui remontaient au début des années 2000. 



JS : Absolument, qui ont été écrit pendant sa période de prison, entre 2001 et 2003. En fait, il faut dire que Limonov, en France, a été ostracisé à cause de ses positions sur la Serbie. Entre 1993 et 2008, aucun de ses livres n'a été publié en France, ce qui était quelque part un scandale... 

 

CF : Ni même réimprimés... les anciens n'ont pas été réimprimés. 

 

JS : On a dû attendre le livre d'Emmanuel Carrère, le fameux LIMONOV pour qu'on réimprime tous ses livres qui sont vraiment des chefs d'oeuvre, qui sont considérés en Russie comme des classiques contemporains. Par exemple, son premier livre, "Le poète russe préfère les grands négres" (le titre à scandale que lui avait donné l'éditeur Jean-Jacques Pauvert / le titre original, c'est "C'est moi, Editchka") est considéré en Russie, un peu comme l'équivalent du "Lolita" de Nabokov, pour vous donner une idée.  

L'Editchka du roman de Limonov, l'émigré pauvre qui est aux Etats-Unis, et qui regrette sa Russie où il était poète, où il était considéré, et finalement, devient quelque part un clochard à New York, eh bien, c'est un peu un archétype pour les russes, comme la Lolita de Nabokov est l'archétype de la nymphette.     C'est pour vous dire l'importance qu'a Limonov, et tous ses autres livres, ensuite, l'ont confirmé. 

 

CF :  On n'avait pas eu de livres politiques de Limonov depuis longtemps. Il y en avait eu un qui s'appelait "La sentinelle assassinée", au lendemain de la guerre dans les Balkans. 

 

JS : En effet, c'était un recueil d'articles. Dans "Le Vieux", on a affaire au Limonov politique. Parce que Limonov, c'est l'écrivain évidemment, mais c'est aussi l'homme politique, l'opposant radical en Russie, qui a vraiment mené une action considérable depuis une vingtaine d'années. Certains disent de façon marginale, d'autres, au contraire, disent que cette marge lui a quand même permis d'aller un peu partout, d'avoir un impact sur tout le reste.  

 

CF :  Et d'avoir aussi un écho international. Même si peut-être son influence est limitée sur la politique russe, en tout cas sur le plan électoral. 

 

JS :  Forcément, elle est limitée en ce sens que son parti n'a jamais été reconnu, et qu'il n'a pas pu se présenter aux élections.  

 

CF : Et puis Limonov a eu des déboires, aussi, au sein de son propre parti. 

 

JS : Il a eu quelques problèmes, au début des années 2000, quand Alexandre Douguine, qui avait formé le parti avec lui, l'a quitté. 

 

CF :  Le parti national-bolchévique... 

 

JS : Le parti national-bolchévique, qui était une espèce de mélange radical, disons en gros pour simplifier, d'extrème-gauche (Limonov), extrème-droite (Douguine). Une espèce de patchwork assez bizarroïde : enfin pour nous occidentaux, moins pour les russes, puisque les russes, évidemment, ont une autre vision du monde.  

 

CF :  Et  ils ont une tradition révolutionnaire  aussi  plus ancrée. 

 

JS : Voilà. Donc on peut dire que "Le Vieux" est un livre de combat, un livre politique, important, bien entendu, intéressant et d'une haute qualité littéraire.

Et si je devais aussi recommander un autre livre, c'est celui qui est sorti l'an dernier, qui est d'une certaine façon son autobiographie : "Le Livre de l'Eau", aux Editions Bartillat, qu'on trouve encore aujourd'hui. C'est un livre qu'il faut lire en toute priorité, d'ailleurs Emmanuel Carrère dans son LIMONOV dit que c'est son meilleur livre depuis une vingtaine d'années. 

 

CF :  Oui, depuis "Le Journal d'un raté" selon lui ...   C'est vrai que "Le Livre de l'Eau" est un ouvrage très soigné, très bien écrit, bien composé.       Pour en revenir au "Vieux", le livre a été fort bien accueilli en Russie, n'est-ce-pas ? 

 

JS :  Ah oui, oui, absolument. D'ailleurs sur le site "Tout sur Limonov", il y a beaucoup de photos et de vidéos, et justement on peut voir le reportage qui a été réalisé en septembre dernier à Saint Petersbourg, quand Limonov est allé présenter son livre dans une grande librairie.

Les employés ont été complètement débordés, puisque 500 personnes se sont présentées. Alors Limonov a longuement répondu aux questions, et il a ensuite dédicacé son livre. C'est pour vous dire l'impact qu'a Limonov en Russie, et surtout l'impact politique, aujourd'hui. 

 

CF :  Parmi tous ses livres, il y en a qui permettraient d'aborder le personnage de Limonov, dans son intégralité ? 

 

JS : Moi, je commencerai par lire "Le Livre de l'Eau", son autobiographie : une cinquantaine de chapitres, de 5 à 6 pages chacun, où il raconte des petits morceaux de sa vie : le Limonov à Paris, le Limonov à New York, le Limonov combattant dans les Balkans, le Limonov homme politique en Russie, le Limonov et ses femmes, parce que Limonov est un play boy, un grand séducteur. 

 

CF : Oui, dans ce livre, il avait fait une hiérarchie entre les différents éléments aquatiques : il parlait des océans, des mers, d'abord, et puis des fleuves, les rivières, les lacs, et à chaque fois, il le rattachait à un lieu géographique où il avait été, avec un souvenir, une rencontre, une personnalité.

Alors on pouvait se retrouver en Méditerranée, à Nice,  en Mer du Nord, à Amsterdam, dans l'Adriatique. Et parmi les fleuves, il y avait le Dniestr, la Seine, bien sûr, la Volga, la Moskova, le Danube, l'Hudson, à New York .      La période new-yorkaise aussi  a été très importante. 

 

JS : Et tout cela, c'était une façon de parler de lui, des gens qu'il a rencontré, parler de ses femmes, de ses maitresses, de ses combats...  C'est vraiment un homme, une personnalité complètement hors-normes, absolument ahurissant : grand écrivain, grand destin.

D'ailleurs Zakhar Prilepine, qui est peu connu en France .... 

 

CF :  Qui commence à être connu : ses livres sont publiés chez Actes Sud, et aux Editions de la Différence, aussi...

 

JS : Absolument, je crois qu'il y a 7 ou 8 livres qui ont déja été publiés. Et le dernier livre de Prilepine, "Le Refuge" (2014), qui paraitra l'an prochain en France, est considéré en Russie comme une oeuvre de premier plan, peut-être l'un des livres les plus importants depuis ceux de Soljenitsyne. Zakhar Prilepine a été aussi au parti national-bolchévique, quand il était jeune, et reste sympathisant de ce parti, qui est interdit aujourd'hui.  

Eh bien Prilepine dit que Limonov, c'est vraiment la référence absolue, non seulement pour lui,  mais pour tous les jeunes écrivains russes d'aujourd'hui.

Il y a eu une rencontre, avec une dizaine de jeunes écrivains parmi les plus connus. On leur a demandé : "Quel est l'écrivain qui vous a le plus influencé parmi les auteurs contemporains du 20ème siècle ?"    Et tous ont déclaré : "Limonov. Edouard Limonov".  Tout cela pour dire l'importance qu'a Edouard Limonov et qu'on a du mal à comprendre en France, parce qu'on est resté figés sur l'affaire de la Serbie. 

 

Ce qu'il faut lire aussi de Limonov, c'est la trilogie de Kharkov. 3 romans qui font référence à la ville où il a été élevé, où il est arrivé quand il avait quelques mois, et où il est resté jusqu'à l'âge de 23 ans, avant de partir à  Moscou.  Kharkov, qui aujourd'hui est en Ukraine, mais qui à l'époque, évidemment,  était en Union Soviétique. 

 

CF :  Et qui est une région russophone, dans l'Est de l'Ukraine, où il y a une très forte communauté russe. Et l'on n'est pas loin du Donbass, ou se tiennent de nombreux combats. 

 

JS : Oui, on est à peine à 200 kilomètres de la région de Donietsk, et de Lougansk.
Des régions peuplées par une douzaine de millions d'habitants,  à l'est de l'Ukraine qui sont totalement russophones. De toute façon, en Ukraine tout le monde parle le russe, en plus de l'ukrainien. Mais cette partie là est russophone à 100%.

Dans la trilogie de Kharkov, Limonov raconte sa vie quand il était jeune : et c'est vraiment trés enlevé, scandaleux, diront certains... 

 

CF : C'est l'époque où il était un peu voyou, un peu délinquant... 

 

JS : Tout à fait ... même si certains disent qu'il a peut-être un peu idéalisé le côté délinquant... mais bon, ça c'est vraiment pour les connaisseurs.    Je vous recommande "Autoportrait d'un bandit dans son adolescence", qui fait partie de la trilogie de Kharkov... 

 

CF : Qui a d'ailleurs été adapté au cinéma. 

 

JS : Absolument, en Russie, un film, un long métrage de fiction est sorti en 2004, fait par l'un des plus grands réalisateurs de Russie (Alexandre Veledinsky). 

"Autoportrait d'un bandit dans son adolescence", ça se passe en 1958. Limonov avait 15 ans à l'époque, c'était un petit voyou, et un poéte déja. Il raconte à un moment une trés grande réunion dans un parc, où l'on venait réciter des poèmes . A l'époque en Russie, la poésie, c'était un peu comme le rap ou les chanteurs, ici, en France, et 5.000 personnes s'étaient retrouvées dans le parc.

Limonov était venu, il avait récité ses poèmes, et gagné le premier prix. On lui a donné un jeu de dominos, alors il était un peu vexé, et il disait : "quoi, moi j'ai écrit des tas de poémes, et on me donne une espèce de mauvais domino !".  

Ce  livre est absolument extraordinaire : il parle de ses copines, les petits voyous avec qui il trainait,  la vie quotidienne à l'époque dans une ville soviétique. On n'imagine pas du tout ça en Occident. Quand on vous dit : l'Union Soviétique des années 50, vous allez penser à quelque chose de gris, de triste, sans intérêt, eh bien au contraire, c'est très vivant, très animé... par exemple quand les flics essaient de courser les voyous. Enfin, c'est passionnant, quoi, il n'y a rien d'autre à dire. C'est vraiment une découverte. 

 

CF : Mais est ce que ce n'est pas aussi le regard que Limonov porte sur le monde qui permet aussi à son récit d'avoir autant d'intérêt ?  

 

JS : Ah, bien sûr 

 

CF : Et c'est son tempérament, plein d'énergie, qui ne se laisse jamais abattre, qui repart toujours au combat. 

 

JS : Tout à fait. Dans la trilogie de Kharkov, après "Autoportrait d'un bandit dans son adolescence", il y a "Le petit salaud", quand il a 22 - 23 ans.

Ca a été réédité chez Albin-Michel, il y a 2 ou 3 ans, donc on le trouve assez facilement.

Dans "Le petit salaud", Limonov se met avec une femme qui a une dizaine d'années de plus que lui, Anna Rubinstein, qui sera sa muse, une femme un peu nymphomane, la muse de tous les poètes, toute la bohème de Kharkov. Et c'est elle qui va l'amener dans ce monde intellectuel. Et là encore, le livre est passionnant. 

 

  CF :  Et le troisiéme volet s'intitule "La grande époque". 

 

  JS : Alors là, il remonte dans le temps. Il raconte l'histoire de ses parents, juste après la guerre, en 1948, dans une ville détruite par "la grande guerre patriotique" comme les russes l'appellent. Kharkov qui essaie de se relever, et là aussi, c'est très vivant.  C'est vraiment une trilogie d'une grande qualité littéraire. 

 

  CF : Alors après cette trilogie de jeunesse, mais qui a été composée plus tard dans son oeuvre, dans les années 80, il y a le diptyque new-yorkais, qui raconte son séjour à New York, de 5 ans environ, de 1975 à 1980, jusqu'au moment où il vient s'installer à Paris.  Et ce diptyque (en fait on pourrait même parler d'une trilogie avec "Le journal d'un raté") commence avec "Le poète russe préfère les grands nègres", qui le met en scène dans les bas fonds de New York. 

 

JS : Il faut situer l'époque. Limonov a quitté la Russie en 1974, il avait donc 31 ans. Il est parti avec son épouse du moment, une très belle femme, Elena Schapova, qui était mannequin, qui écrivait aussi de la poésie. Ils sont partis tous les deux à New York, espérant faire une grande carrière internationale.

A l'époque, Limonov était déja connu dans l'intelligentsia, dans l'underground à Moscou : c'était l'un des poètes les plus renommés, mais on ne publiait pas ses poèmes. On se les passait de main en main, et il était vraiment trés connu.

Ensuite il s'est retrouvé à New York avec Elena, qui elle, espérait faire une grande carrière de mannequin, et il s'est rendu compte que les américains n'en avaient rien à faire de la poésie, et surtout des poètes russes, il s'est retrouvé vraiment dans les bas fonds. Sa femme l'a abandonné et du coup, il raconte toute cette période où il trainait dans New York 

 

CF : Il avait beaucoup de mal aussi à trouver des moyens de subsistances. Mais il finira par avoir un travail de majordome chez un milliardaire. 

 

JS : Un peu plus tard, en effet. Ca, il le raconte dans son deuxième livre, "Histoire de son serviteur". Et pour complèter la trilogie, en effet, il y a "Le journal d'un raté", où il parle de tout cela. 

 

CF : Mais c'est sous une autre forme, plus poétique, avec des fragments, par différentes touches. Et il faut rappeler que tous ces livres ont été rééditées ces dernières années, suite au succès du livre d'Emmanuel Carrère, ce portrait un peu subjectif, aussi, d'Edouard Limonov.

  C'est vrai qu'il s'agit d'une vie qui épouse le 20ème siècle, et le 21ème aussi, et en prenant "Le Livre de l'Eau", lui qui est si profondément russe, on se rend compte qu'il a pu s'adapter  finalement à différentes civilisations. Aussi bien l'avant-garde russe des années 60, ce New York un peu punk, qui est le New York de Basquiat,  de Blondie, des Ramones...

 

JS : Oui, absolument, le punk qui est né en Grande-Bretagne et qui a émigré juste après ...

 

CF :  ll y a des historiens qui font naître ça à New York en 75, et non pas à Londres en 77.

 

JS : Eh bien Limonov, justement, était là à New York en 75. Il était présent, témoin de toute cette époque, et on voit certaines de ses photos d'ailleurs où il a une coupe punk.
Donc, le poète russe, punk à New York, entre 75 et 80, ensuite arrive à Paris, où il devient un écrivain assez renommé dans un certain milieu germanopratin... 

 

CF : Un écrivain branché jusqu'à la fin des années 80, début 90. 

 

JS : Et ensuite il part combattre en Bosnie comme volontaire, aux cotés des serbes, et à partir de ce moment là, celui qui était déja un écrivain installé devient un pestiféré.

On ne publiera plus ses livres après, alors que peut-être la partie la plus importante  et la plus intéressante de son oeuvre est celle qui n'a pas été publiée ici en France.

En Russie, il crée le fameux parti national-bolchévique en 1994, ce parti complètement hors-normes qui a été interdit en 2007. Ce parti il l'a créé avec le philosophe Alexandre Douguine et la rock star punk Egor Letov, qui est mort aujourd'hui.

Une façon de réagir, au moment de la chute de la Russie, quand Boris Eltsine vendait le pays aux oligarques. A l'époque ce parti était au coté du parti communiste de Russie, des nationalistes, des populistes,  pour empêcher la libéralisation à outrance de la Russie. 

 

CF : Pour essayer de comprendre la réception de l'oeuvre de Limonov, il s'est peut-être passé quelque chose à la fin des années 80 où il n'a plus été compris vraiment. Quand on reprend le recueil de ses articles publiés dans l'Idiot International, qui s'appelle "L'éxité dans le monde des fous tranquilles" , qui couvre les années 1989-94, avec des évènements historiques aussi importants que la chute du Mur de Berlin, puis en  91 la dislocation de l'Union Soviétique, on voit bien que la dimension politique tend à prendre de plus en plus d'importance dans sa pensée et dans son art littéraire, et que là, finalement, il ne se retrouve plus en phase avec l'idéologie dominante. Et c'est pour cela aussi, peut-être, qu'il quitte la France à partir de 93 parce  que la situation avait changée, pour lui qui avait été une coqueluche un peu exotique. 

 

JS : Il a compris qu'il était grillé, à partir du moment où il prenait des positions considérées comme marginales en France, soutenant les serbes, et non les bosniaques, contre Boris Eltsine, contre l'effondrement, non pas de l'Union Soviétique, mais de la Russie, contre l'écartèlement de la Russie.

Sa logique à lui, à l'époque, ce qu'il disait, c'était  : "Essayez de comprendre, c'est comme si la France s'effondrait, et la Bretagne, le Pays basque, la Corse, la Savoie, pourquoi pas,  le "comté de Nice", tant qu'on y est,  en profitaient pour demander leur indépendance. C'est ce qui se passe actuellement chez nous : on ne veut pas garder l'Union Soviétique, on veut garder la Grande Russie, éviter sa dislocation "

Evidemment, ce discours-là était totalement incompris en France,  peut-être un peu mieux aujourd'hui,  25 ans après, quand on a vu l'effondrement, ce qu'est devenu la Russie dans les années 90 .

Mais à l'époque, ce n'était pas du tout compris, et l'on disait :"Bon, il est complètement fou, ce Limonov, il raconte n'importe quoi" . Alors qu'aujourd'hui avec le recul, on se dit qu'il n'était peut-être pas si fou que ça. 

 

 CF : Et puis il avait aussi publié un essai, "Le grand Hospice Occidental", dans lequel il critiquait une forme de politique menée par l'Ouest, les Etats-Unis en particulier.

   Mais dans une certaine mesure il a été visionnaire aussi, parce que beaucoup d'expéditions menées au Moyen -Orient n'ont pas porté leurs fruits. 

 

JS : Bien sûr, mais aujourd'hui en Russie, Edouard Limonov est considéré comme un visionnaire, parce que, 25 ans  ou 30 ans avant les autres, il a dit ce qu'on voit aujourd'hui.

 Avec le recul, on peut dire que s'il était resté en France en 93, s'il avait baissé le ton, il aurait pu publier des livres qui se serait plus ou moins vendus, ç'aurait été un écrivain parmi tant d'autres, peut-être qu'il serait à l'Académie Française, l'horreur suprême pour lui. 

Alors qu'en partant, justement, il est devenu une figure légendaire. En Russie, Limonov, c'est vraiment une légende, non seulement pour ses livres, mais pour sa vie. C'est quelque chose qui n'a strictement rien à voir avec un écrivain quelconque en France.

Donc, même si aujourd'hui on peut regretter qu'on n'ait pas publié ses livres en France, pendant une quinzaine d'années, on peut dire que finalement quelque part, c'est bien pour lui : ça lui a permis de se renouveler, de se recréer complètement, et de devenir une légende internationale et une personnalité de premier plan en Russie. 

 

 CF : Une sorte de personnage mythique. 

Bon, eh bien, après cet échange, je vous propose que nous fassions une pause musicale, avant de reprendre notre conversation.
A tout de suite. 

 

 La suite à écouter sur le podcast, à partir de 32'04 :

 http://www.tout-sur-limonov.fr/371489331

 

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