LE GRAND HOSPICE OCCIDENTAL

 Un livre visionnaire, écrit il y a 30 ans, pour comprendre ce qui nous arrive aujourd'hui.

La nouvelle édition du GRAND HOSPICE OCCIDENTAL, l'un des livres "culte" de Limonov, en librairie le 1er septembre 2016.

Traduction Michel Secinski.

Editions Bartillat.

 

Ce livre visionnaire fut écrit par Limonov à la fin des années 80, et publié pour la première fois dans sa traduction française en 1993 (Editions "Les Belles Lettres"). 

 

 

Quelques extraits de la préface inédite d'Edward Limonov pour la réédition de 2016 : 


 Ce livre, publié en 1993 en Russie, détermina l'adhésion à mon parti national-bolchévique d'Egor Letov, ce musicien russe qui était l'idole punk de toute une génération, adhésion entraînant celle de centaines, de milliers de ses fans. 

 

 Dans LE GRAND HOSPICE OCCIDENTAL, j'avais mis l'accent sur les mutations affectant la nature même de la violence d'Etat dans les sociétés modernes.

La coercition pesante et brutale de l'univers d'Orwell, qui d'ailleurs ne s'est exercé qu'en Allemagne et en URSS, avait disparu, cédant la place à une violence soft. On a vu se généraliser le gavage, la séduction, l'infantilisation et d'autres méthodes sur lesquelles vous éclairera ce livre aujourd'hui réédité.


La violence brutale n'avait pas disparu parce que l'humanité s'était bonifiée, mais parce que celle des deux guerres mondiales et de la coercition interne en Allemagne et en URSS effrayait désormais et ne valait plus au pouvoir les suffrages populaires.


J'affirmais aussi que l'humanité aurait encore recours à cette antique violence brutale dans les confins de la planète.


Que manque-t-il dans LE GRAND HOSPICE OCCIDENTAL ?


Lorsque ce livre a été écrit (c'était en 1988-89, car il a fallu des années pour arriver à l'éditer), l'URSS existait encore, mais déja passait à marche forcée aux méthodes de la violence soft.


Il n'y avait pas alors l'islam radical d'essence messianique qui balaie tout sur son passage et provoque aujourd'hui un retour à la violence brutale dans le monde.


L'islam radical ne faisait alors que relever la tête, ne s'exerçant plutôt qu'à l'échelle régionale (Iran, Afghanistan), alors que nous assistons désormais à la renaissance de l'antique violence brutale qui s'impose avec succès à l'échelle mondiale (l'"Etat Islamique" ou "Califat").


Le flot des migrants en Europe et la mainmise agressive du Califat sur les territoires d'Irak et de Syrie nous montrent que la violence soft s'efface, cédant la place au surgissement soudain d'une violence médiévale remontant au VIIème siècle de notre ère.


J'ai donc assez vécu pour assister à un nouveau cataclysme historique insensé et imprévu, et voir déja décliner la violence soft qui subsiste, impuissante et disposée à envisager sa chute.


Ainsi les thèses maîtresses du GRAND HOSPICE OCCIDENTAL portant sur la violence brutale et soft demeurent intangibles. L'Histoire elle-même l'a démontré.

                                                          Edward Limonov - 2016

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      L'influence d'Édouard Limonov en Russie

 

Dans cet article en russe, Pavel Tikhomirov explique l'influence du GRAND HOSPICE OCCIDENTAL en Russie.

Et il qualifie Limonov de "Jean-Paul Sartre russe" :

 http://ruskline.ru/analitika/2011/12/16/limonov_i_marevo_arabskoj_vesny/ 

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Revue LIVR'ARBITRES - N° 21 - Automne 2016

  

 

Un article de Patrick Wagner dans l'excellente revue LIVR'ARBITRES.

Numéro 21 

 

Automne 2016

 

 

 

 

                CONSTAT "AMER" D'OCCIDENT

 

On reconnaît un arbre à ses fruits. Ceux de Limonov sont acides et ont une forme de grenade. L'auteur, à nouveau célébré par Saint-Germain-des-Près, depuis qu'Emmanuel Carrère lui a consacré un roman biographique à succès, réapparaît dans les bacs des bonnes librairies dans un essai de 1993, aujourd'hui réédité.

Années parisiennes, de débauche et de spleen, mais également de réflexion et d'amitiés où notre poète russe, coeur rebelle sans peur mais pas sans reproche, se prend à considérer notre occident d'une manière clinique.

Un regard aigu et sans concession sur le fonctionnement des sociétés dites démocratiques et modernes, un constat qui n'a pas pris une ride et fait froid dans le dos.

 

Les éditions Bartillat ont de la suite dans les idées. Charles Ficat, qui anime cette belle maison, s'est même déplacé en Russie pour rencontrer l"homme". Depuis 2012, à raison d'un ouvrage par an, elles rééditent l'affreux, le sulfureux Limonov.

Car, qui voudrait pour gendre ce terrifiant vieil homme toujours vert comme notre bon roi Henri IV ? Qui accepterait à 70 ans de passer ses nuits en garde à vue dans les geôles poutiniennes ?

Un écrivain, homme et soldat politique qui sait ce que mettre sa plume au service de ses idées veut dire, qui assume ses rêves chimériques de Russie impériale comme ses années de débauche dans les grandes métropoles de ce monde usé, rongé jusqu'à la moelle, qu'il analyse ici avec brio, à la manière d'un Zinoviev, père de l'homo soviéticus.

Ce livre vit le jour grâce à l'appui d'un autre grand pourfendeur de médiocrité, Jean-Edern Hallier. Il ne pouvait être qu'emballé par cette mise à nu de nos sociétés, leur nature profonde, alors qu'un Bernard Pivot rendait une toute autre sentence : un "évangile pour les skinheads".

En Russie le livre connut immédiatement un réel succès. L'auteur pense d'ailleurs que son livre est supérieur à LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE de Guy Debord. C'est bien son droit, mais au-delà de ces considérations picrocholines, les mutations décrites, portant sur la violence brutale et soft de l'Etat restent intangible, qu'on l'accepte ou non.

Télévision, police de la pensée, infantilisation, uniformisation. C'est à une existence d'animaux domestiques que l'on veut nous confiner, dans un climat mou et disciplinaire dominé par les médias.

Société hôpital où les "malades" sont évacués, où le nouvel ordre mondial s'impose par une "guerre froide morale" autour d'un mur des peurs et des compromissions : "Soyez Charlie !" aurait-il pu proclamer !

Bref, Limonov est un homme qui se débat avec son temps, un héros moderne et subversif qui n'a pas fini de s'imposer à nous par ses fulgurances.

                                                     Patrick Wagner - LIVR'ARBITRES

 

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Extrait d'un article de Daoud Boughezala, dans Causeur, en avril 2012.

 

Il passait en revue l'oeuvre politique et philosophique de Limonov, et notait à propos du Grand Hospice Occidental :

"Un livre hélas pas encore réédité mais qui a remarquablement bien vieilli" 

 

 

 Limonov n’a pas de mots assez durs contre Le grand hospice occidental et s’étonne que l’Occident « Capitalisme-Caïn » ait achevé son frère Abel.

Au système concentrationnaire et à la propagande soviétiques, Limonov compare en effet les si douces méthodes de contrôle social occidental : publicité, marketing, antidépresseurs, moraline et droits de l’homme à tous les étages.

On entend de vagues accents schmittiens dans ses récriminations contre cet Occident devenu orphelin, où la politique dépérit faute d’ennemis désignés (« sans l’ombre de l’ennemi, l’Occident se verrait tel qu’il est : une civilisation vulgaire et ennuyeuse, peuplée d’hommes-machines »).

En France, l’autoproclamé « pays des droits de l’homme », la floraison de rebelles sans cause a même engendré un nouveau mal : la pétitionnite aigüe, cette pathologie typique de « la race des signeurs » occidentaux, si moralement supérieurs qu’ils signent tout et n’importe quoi ! Tiens, Muray et son Empire du Bien affleurent…


Au passage, admirons le prophétisme du pourfendeur du démocratisme botté qui, instruit par le cas croate, notait dès 1993 : « N’importe quel Sarkozy, BHL, Kouchner peut librement inviter depuis l’écran télé à l’invasion, au bombardement des cités, peuplées d’êtres humains présumés coupables… ».

Comme quoi, la Cyrénaïque, en Libye, n’est peut-être pas si loin de la Serbie…

                                                       Daoud Boughezala - 2012

http://www.causeur.fr/limonov-et-la-nef-des-fous-17136.html 

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Edward Limonov: Un Hospice sous de sombres auspices.

 

 

Lorsqu’en 1993, Edward Limonov publia son pamphlet Le Grand hospice occidental(aux Belles Lettres, l’éditeur de Jean-Edern Hallier), il se heurta à une vive hostilité. La presse passa le livre sous silence, ce qui constitue une forme de censure souvent plus efficace que l’interdiction ou l’éreintage.

Bernard Pivot, qui exerçait alors une énorme influence dans la république des Lettres, le qualifia rien moins que d’« évangile pour les skinheads ». L’auteur évoque cet épisode dans la préface d’une nouvelle édition qui vient de sortir en librairie (Bartillat, 235 pages, 20 €).

 

Il est vrai que Limonov n’avait rien fait pour s’attirer la sympathie du lectorat : dans son texte, il s’en prenait violemment à 1984 de Georges Orwell, aux médias et à leurs représentants les plus consensuels (Bernard Pivot, PPDA).

Il portait surtout un regard critique sur l’ensemble de la société occidentale en général et sur la France en particulier, et tirait à boulet rouge sur les idées à la mode, droit-de-l’hommisme, culte de la victime, pétitionnisme, bref, autant de traits que Philippe Muray, dans ses Exorcismes spirituels, classera avec une ironie mordante dans la catégorie du « bonnisme » et de la bien-pensance.

 

Provocateur, comme ce genre littéraire l’impose, le pamphlet allait encore plus loin, en comparant la « violence dure [qui] consiste essentiellement à réprimer physiquement l’individu », dans laquelle chacun pouvait notamment reconnaître le système soviétique, et la « violence molle » des démocraties occidentales, qui « vise à faire de l’homme un animal domestique. »

Ces démocraties se trouvaient assimilées à un hospice destiné à materner et infantiliser les citoyens, transformés en patients placés sous sédatifs, afin d’éviter qu’ils ne deviennent des « agités » – en d’autres termes, mal-pensants, opposants, etc.

 

Dans le box des accusés, l’auteur convoquait en vrac les politiques (ici appelés « Administrateurs »), les journalistes et les intellectuels responsables de la « production d’opinions préfabriquées », les médias de masse souvent improvisés policiers des pensées dissidentes et pourvoyeurs de programmes débilitants, les Etats (renommés « l’Administration »), le culte du Progrès, la moraline normative permettant de forger de bons citoyens laborieux et dociles, ou encore la publicité et la consommation effrénée.

A ces prévenus, auxquels les circonstances atténuantes ne s’appliquent guère, Edward Limonov adjoignait les patients ordinaires eux-mêmes, victimes consentantes qualifiées de « médiocres », auxquelles il est reproché de sacrifier la liberté de penser aux béatitudes illusoires d’une prospérité toute relative.

Sans doute pourrait-on le suivre dans une partie de son état des lieux, s’agissant par exemple du rôle tenu par une poignée de rebelles de salon toujours prompts, entre deux actes d’autopromotion, à s’indigner et à donner des leçons à la terre entière – Muray les appelaient les «mutins de Panurge» ou la «race des signeurs»…

On pourrait aussi approuver sa critique de l’infantilisation des foules propagée par les Princes, les méthodes pas toujours très éthiques du marketing de masse, la trépanation cathodique administrée par les programmes de téléréalité, le désert intellectuel entretenu par le politiquement correct.

 

En revanche, lorsque cet admirateur d’Hemingway regrette la disparition des valeurs « viriles », d’une loi de la jungle qu’il qualifie de «juste», lorsqu’il fait preuve d’indulgence vis-à-vis du système soviétique tout en se montrant impitoyable à l’encontre du modèle démocratique fondé sur le suffrage universel, ou lorsqu’il conteste l’égalité des sexes, on est en droit de se cabrer.

 

Nombre des constats établis dans les années 1980-90 durant lesquelles l’auteur vivait à Paris restent d’actualité et pourraient ouvrir à débat ; d’autres ont assez mal vieilli ce qui, à trente ans d’intervalle, relève de la logique. L’aspect le plus inquiétant du livre se situe dans le chapitre conclusif. Limonov y prophétise une dévastation de la planète si le monde ne renonce pas au progrès, et la naissance de conflits avec les pays « sous-développés » de nature à produire une « guerre de tous contre tous » – référence transparente à Hobbes – à l’issue incertaine. Ce panorama semble d’autant plus sombre qu’il ajoute : « Et l’apparition de solides gaillards en uniformes verts, à bottes ferrées et armés de matraques paraît inévitable… » Qu’entend-il par là ? Faut-il voir dans ce vert la couleur de l’Islamisme, celle des « khmers verts » de la redoutable « tyrannie bienveillante » théorisée par Hans Jonas, ou bien celle de l’uniforme de Rambo, héros pour lequel l’auteur semble nourrir une réelle admiration ? Autant de perspectives fort peu réjouissantes.

                                                                                                 Thierry  Savatier

http://savatier.blog.lemonde.fr/2016/11/09/edward-limonov-un-hospice-sous-de-sombres-auspices/

 

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                   TERRE D'ASILE 

 

Voici un éditorial de Limonov publié dans "l'Idiot International", en 1989, qui fait déja penser au GRAND HOSPICE OCCIDENTAL

L'idiot International du 25 octobre 1989, avec l'éditorial de Limonov, "Terre d'Asile".

                                  TERRE D'ASILE 

 Le vieux Orwell s'est trompé. Ce n'est pas la terreur l'arme la plus efficace pour opprimer les masses mais la lâcheté de chacun, le besoin de tranquillité. En 1989, c'est cette paix mortelle qui nous asservit.
 
Après des millénaires de dressage par notre civilisation blanche, le bloc de l'Ouest (l'Europe et ses "space-colonies" : USA, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud et Israël) et le bloc de l'Est (l'URSS and Co) ressemblent à s'y méprendre à deux ailes d'un même asile psychiatrique bien organisé.
 
   Les malades (vous, mes chers concitoyens!), dans leur écrasante majorité, gavés de tranquillisants, restent sages.
 Ils obéissent. Leurs visages sont ronds (30% des Anglais souffrent d'embonpoint et les culs des réfugiés est-allemands sont impressionnants) et sont ravis de leur condition. Le calme règne dans l'Asile.
 
Qu'un accident se produise — qu'un des malades se laisse aller à une crise violente — les infirmiers font leur boulot et l'écartent de la communauté. La qualité du travail des infirmiers varie selon la richesse et le degré de développement de chaque pays.
 
 Dans l'Asile le moins développé (en URSS et dans tout le bloc de l'Est) le travail laissait à désirer jusqu'à ces dernières années : brutalité excessive, cruauté inopportune, bavures regrettables. (D'ailleurs, le plus grand reproche que l'Ouest faisait à l'Est se réduisait à l'utilisation d'une méthode démodée dans la répression de ses malades, mais surtout pas la répression en soi).
 
Vous pensez que la métaphore est trop forte ? Non, elle est juste. Regardez autour de vous : toutes les structures de l'Asile existent bel et bien.
 
Les malades : les populations.
 
L'administration de l'Asile : les médecins, les docteurs, les profs, les fonctionnaires de chaque pays.
 
L'appareil d'oppression (pour réduire à la soumission les plus énervés) : l'armée et la police.
 
Le petit groupe chargé d'entretenir le moral et de distraire les malades : les médias et les intellos.
 
Les "bons" malades, ceux qui aiment travailler dans le jardin de l'Asile ou confectionner des boites en carton, sont encouragés par l'Administration. Le malade idéal (autrement dit, le citoyen modèle) n'est autre que celui qui cause le moins de soucis possible à l'Administration.
  
Le malade exemplaire se déplace doucement : ni trop vite ni trop lentement. Il ne rit pas mais n'est jamais triste. Son visage est affublé d'un sourire tranquille et perpétuel (le fameux sourire à l'américaine!).
 
Occupé à fabriquer des boites en carton ou à jardiner, le malade exemplaire mange avec appétit et ne demande pas à être libéré. Enfin, le malade exemplaire ne s'excite jamais.
 
L'excitation est le crime capital à l'Asile. Car l'excitation signifie l'abandon de l'état de tranquillité. Les degrés d'excitation sont multiples : le malade marche trop vite, il crie "Libérez moi, je suis en bonne santé", il prononce des discours furieux, il demande à l'Administration de changer le régime de l'Asile ou il accuse l'Administration d'escroquerie et de corruption.
 
L'excité peut se laisser aller jusqu'à des degrés extrêmes, jusqu'à, par exemple, agresser physiquement un membre de l'Administration (ainsi, Action Directe, Brigades Rouges, etc).
 
Les Administrations des deux ailes de l'Asile (l'Est et l'Ouest) se livrent une concurrence hostile, permanente et sans pitié. Chacune exaltant les qualités de "son" régime pour mieux dénoncer les défauts de l'autre.
 
En fait, les dirigeants de l'aile communiste imitent en tout ceux de l'aile capitaliste. Leurs différences sont uniquement d'ordre quantitatif. Ils poursuivent le même but : la production par la productivité. Ils mesurent leur degré d'avancement selon le même paramètre : le Produit National Brut.
 
Ils partagent la même conviction de la vie sur terre : le développement à l'infini des forces productivistes. (Et ils utilisent la même technologie pour l'atteindre!). Ils pratiquent la hiérarchisation et la "statistification" des masses pour tendre au résultat maximal.
 
Le travail reste la valeur fondamentale des deux ailes de l'Asile. Jamais n'a été élaborée sur terre une société aussi mécanique. Pas de relation avec Dieu, pas de relation d'homme à homme, juste une relation entre l'homme et l'objet.
 
L'idéal de l'Asile? L'Asile. C'est pourquoi notre civilisation blanche n'a pas de but. L'Asile démontre la justification de son existence en se comparant au passé ou au tiers-monde.
 
L'Histoire, selon les maîtres de conférence de l'Asile, se résume à une longue marche de la collectivité (avec ses souffrances et ses douleurs d'hier) vers un point culminant : la tranquillité de l'Asile.
 
Le passé de l'humanité, d'après les philosophes de l'Asile, n'a pu être que terrible, barbare et digne de mépris. Le tiers-monde aujourd'hui, c'est notre passé malheureux. Mais nous sommes morts, le tiers-monde est vivant.
 
Le résident de l'Asile s'apitoie facilement sur l'homme des époques précédentes, lequel a vécu sans confort : pas de voiture, pas de télévision, pas de téléphone, pas de machine à laver, pas d'ordinateur, pas de minitel, pas de congés payés.
 
Le résident de l'Asile est un homme-machine. Il est ennuyeux. Car la réalité de l'Asile est ennuyeuse. L'Ennui à l'Asile n'est pas un état personnel, mais un climat totalitaire imposé. Aussi, l'excitation et ses extrêmes, désespérance ou euphorie, sont des crimes à l'Asile. Les pères fondateurs de l'Asile n'ont pas choisi impunément l'Ennui comme climat social idéal.
 
Pose ton journal, lecteur, et allume la télévision. Regarde le visage de Tonton. Ce n'est pas celui d'un leader politique mais celui du véritable directeur de l'Asile, le Sage Suprême de la psychiatrie.
 
Je suis l'excité. Nous sommes les excités dans le monde des fous tranquilles. Une société sans conflits est une société morte.
 
                                                     Edward Limonov
 
 N°24 de l'Idiot International   -   25 octobre 1989. 

 

Les chroniques de Limonov dans L'IDIOT INTERNATIONAL à retrouver dans L'EXCITÉ DANS LE MONDE DES FOUS TRANQUILLES, paru aux Editions Bartillat en 2012. 

Limonov : L'Excité dans le monde des fous tranquilles

  

Parus il y a vingt ans dans L'Idiot international des Houellebecq, Besson, Nabe, Dantzig et autres Philippe Muray, les articles du sulfureux écrivain sont aujourd'hui réunis en un volume.

 

ON N'ÉCRIT plus comme ça, parce qu'on ne publie plus ça. Impensable ou impossible aujourd'hui. Ça, c'était L'Idiot international, l'hebdomadaire pamphlétaire relancé en 1989 par feu Jean-Edern Hallier, et qui a sombré, perclus de dettes et de décisions correctionnelles, début 1994.

 

La plume dans le fiel et la saumure, nombre de jeunes écrivains s'y étaient fait les dents: Houellebecq, Patrick Besson, Nabe, Dantzig, ou quelques aînés comme Philippe Muray ou Matzneff.

 

 

Edouard (qui s'orthographiait alors Edward) Limonov était de la partie. L'écrivain russe, qui va alors sur sa cinquantaine, est salement auréolé. Il a déjà publié une petite dizaine de récits profondément autobiographiques, dont son premier succès sulfureux, "Le poète russe préfère les grands nègres" (qui sera réédité cet automne chez Flammarion), "Journal d'un raté", "Autoportrait d'un bandit dans son adolescence"

 

Bartillat rassemble aujourd'hui la quarantaine d'articles qu'il avait rédigés pour L'Idiot, «un journal culte».

 

 «Nous étions en avance»

 

Limonov s'en souvient, dans sa préface (inédite), en citant le poète Lermontov, après avoir évoqué les réunions tardives et avinées chez Hallier, dans son vaste appartement de la place des Vosges: «Je suis fier d'avoir participé à l'aventure de L'Idiot et de m'y être trouvé “non parmi les derniers gaillards”, mais parmi les premiers […] Nous étions en avance sur notre temps.»

 

Tout pouvait y être dit et écrit, pourvu qu'il y eût scandale, esclandre ou turpitude*. Le mur de Berlin venait de tomber, l'Irak envahissait le Koweït, la Yougoslavie allait imploser.

 

 

Quelques manchettes rafraîchiront la mémoire de certains: «L'abbé Pierre est une ordure», sous-titré «la vieille moule du charité spectacle» ; «Députés godillots qui votent la Busherie» juste avant l'intervention alliée dans le Golfe.

 

 

Un habitué des colonnes, Jacques Vergès, y traite scatologiquement son confrère Roland Dumas de «grosse m…». Aujourd'hui retraités de la basoche, ce sont les meilleurs amis du monde et du tiers-monde… de Tripoli à Abidjan.

 

Edouard Limonov, parisien depuis une dizaine d'années, après son exil new-yorkais, est bien chez lui, parmi de grands jobards.

Au moment du bicentenaire de la Révolution, il vitupère les droits de l'homme, qui «sont peut-être encore bons à exporter au tiers-monde ; bons pour la grande noire Jessye Norman ; mais chez nous… ce sont des objets morts de musée!».

 

 

La même année, en pleine rage polémique, il propose sans rire de confier le carmel d'Auschwitz à l'Armée rouge, libératrice du camp en 1945. Thuriféraire de la manière forte, il estime que «la démocratie est un paradis pour l'homme faible et médiocre».

 

 

À propos de l'oncle Sam, il lâche: «Je préfère un monde peuplé de hooligans et de Saddam Hussein par milliers, plutôt que de subir la domination totalitaire et planétaire des États-unis d'Amérique.»

 

«Dégoûté et sceptique»  

 

Au rayon littérature, il crache sur Kafka («ce petit mec d'assurance, ce chantre mille-pattes»), ou «cette vieille tante somnifère de Marcel Proust».

Il flingue à bout portant Peter Handke, pourtant opposé comme lui à la désintégration de la Yougoslavie, daube BHL, «philosophe-chantre du bourgeoisisme moderne». Ils sont peu à être épargnés par sa haine ou ses rictus.

 

Entre-temps, le poète «dégoûté et sceptique» fait paraître au Dilettante "Discours d'une grande gueule coiffée d'une casquette de prolo", et s'apprête à rejoindre définitivement sa terre russe (après un détour musclé auprès des Serbes de Bosnie) pour y fonder le Parti national-bolchevique.

 

 

Le succès du Limonov d'Emmanuel Carrère aurait pu lui offrir une jouvence et une conduite. Mais non, l'éternel gamin de Kharkov poursuit le combat, politique: il a pratiquement abandonné la plume. Les geôles de Poutine ont remplacé l'écritoire…

                                                 Thierry Clermont - LE FIGARO

 

«L'excité dans le monde des fous tranquilles, chroniques 1989-1994» D'Edward Limonov, Bartillat, 262 p., 20 €.

 

VOIR AUSSI (petite vidéo) :

» Mais qui est donc Edouard Limonov? 

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Edward Limonov, poil à gratter des bonnes consciences

 

Thierry Savatier - Les Mauvaises fréquentations

 

De 1989 à 1994, Edward Limonov participa à l’aventure de L’Idiot International, journal animé par le dernier grand pamphlétaire du XXe siècle, Jean-Edern Hallier.

L’équipe de rédaction incluait, au gré des occasions, quelques plumes devenues aujourd’hui consacrées : Marc Cohen, Arrabal, Patrick Besson, Charles Dantzig, Michel Houellebecq, Marc-Edouard Nabe, Philippe Sollers, Jacques Vergès, Philippe Muray…

 

Réunion improbables d’intellectuels aux opinions contrastées, voire opposées et parfois jugées si peu fréquentables que Didier Daeninckx parlera alors, au sujet de ce canard déchaîné, d’un « laboratoire national-communiste ». Lequel, bien que tiré, aux riches heures, à 250.000 exemplaires, ne résista pas aux multiples condamnations judiciaires dont il fut la cible.

 

Au sein de ce petit groupe, Edward Limonov se distingua à travers 44 chroniques écrites dans un style abrasif, grinçant et vitriolé, qui viennent d’être réunies sous le titre L’Excité dans le monde des fous tranquilles (Bartillat, 262 pages, 20 €).

 

Quoi que l’on pense de Limonov et de ses engagements, ce livre a valeur de document. D’abord parce que l’auteur traite de manière totalement iconoclaste – c’est-à-dire opposée à la doxa enthousiaste et béate du monde intellectuel d’alors – la chute du Communisme en URSS et dans toute l’Europe centrale.

Ensuite parce que, faisant litière du politiquement correct qui sévissait déjà pour affadir le débat et museler les consciences, il n’hésita pas à s’attaquer aux « valeurs » et aux « idées » à la mode sur lesquelles il était de bon ton (et il l’est toujours) de faire consensus.

 

Pour le lecteur d’aujourd’hui, évoluant, faute d’alternative, dans cet aquarium feutré que l’on appelle bienpensance, ces textes décoiffent. Les statues du Commandeur tombent les unes après les autres, qu’elles se nomment Soljenitsyne, Eltsine, Gorbatchev, Kafka  (« ce petit mec d’assurance, ce chantre mille-pattes »), Proust (« cette vieille tante somnifère »), Hervé Guibert et Peter Handke dont l’entretien publié le 11 avril 1991 dans Libération est qualifié de « chef d’œuvre de foutaise et de débilité ».

 

Au chapitre des concepts et institutions quasi-unanimement respectés, figurent d’autres cibles : la démocratie occidentale (« Grand Reich démocratique du Millénaire […] capable d’exterminer autant de vies humaines pour le « respect du droit international » »), l’OTAN, les Etats-Unis ou le droit d’ingérence, qui donne lieu à cette phrase assassine : « Le nouvel ordre mondial, c’est la violence ouverte, sans honte, de l’Occident contre les deux tiers du monde, contre leurs traditions, contre leur mode de vie, contre leur liberté. Le monde vit désormais sous la dictature humanitaire. »

 

 

Outre la préface (inédite) qui évoque la figure fantasque de Jean-Edern Hallier et les comités de rédaction bachiques qu’il organisait dans son appartement de la place des Vosges, certains textes, au-delà de leur caractère polémique, ne manquent ni d’intérêt ni d’humour.

Ainsi en est-il de « Projets sculpturaux pour Paris », dans lequel l’auteur s’en prend au « vrai héros de notre temps […], la Victime » (chômeurs, handicapés, otages français, etc.) et de « La Race des signeurs », article hilarant où il est question des pétitionnaires patentés prêts à signer n’importe quel appel pour exister – deux papiers que n’aurait pas désavoué le regretté Philippe Muray !

 

Ainsi en est-il encore de « Terre d’Asile », où la société occidentale est comparée à un asile psychiatrique où les « bons malades, ceux qui aiment travailler dans le jardin de l’Asile ou confectionner des boites en carton, sont encouragés par l’Administration. Le malade idéal (autrement dit le citoyen modèle) n’est autre que celui qui cause le moins de souci possible à l’Administration ».

Ce papier, après avoir dénoncé ce contrôle social aussi policé que policier (voir ici, surtout, une police de la pensée), se conclut par une phrase définitive : « une société sans conflit est une société morte ».

 

Et l’on découvre, au fil des pages, que bien des chroniques conservent une saisissante actualité, comme le prouve ce texte étonnant :

« Désormais, aucun pays sur terre n’est plus épargné de leurs pattes, n’est plus à l’abri de leur « droit d’ingérence humanitaire ».

Le droit international, les souverainetés nationales, les règles de la diplomatie pouvant tous être bafoués par le petit caprice d’une personnalité quelconque, psychopathe ou hystérique reconnue, qui déclarera que tel ou tel pays ne respecte pas les règles humanitaires.

N’importe quel Sarkozy, BHL, Kouchner peut librement inviter, depuis l’écran télé à l’invasion, au bombardement des cités, peuplées d’êtres humains présumés coupables… […] 

Chaque livre de Glucksmann ou de BHL est une crise d’hystérie, sans pensée ni raison. Ayant toujours tort dans leurs analyses et prévisions, ces « maîtres à penser » sont devenus logiquement des tricoteuses sinistres telles celles qui pendant la Révolution française hurlaient « A mort ! » devant la guillotine : ils incitent les généreux à tuer. « Bombardez-les ! » est la ligne préférée des tricoteuses humanitaires. »

 

Ces mots furent écrits, non à l’occasion de la sortie au dernier festival de Cannes de ce chef d’œuvre d’autopromotion mégalomaniaque qu’est "Le Serment de Tobrouk" (le documentaire de BHL en 2012 s'autocélébrant pour son action lors de la guerre en Libye) mais en février 1993…

                                                                      Thierry Savatier