La réponse est venue presque immédiatement. Limonov a non seulement accepté de me donner une interview, mais il m'a invitée à aller le rencontrer dans son appartement de Moscou.

 

 Arrivée au rendez vous fixé, j'ai appelé pour dire que j'étais là. J'ai reconnu la voix rauque, caractéristique de Limonov dans le combiné. Après quelques minutes, l'un de ses gardes du corps d'une trentaine d'années est arrivé.

 Quand nous sommes sortis de l'ascenseur, il a regardé dans tous les coins et recoins, comme dans les  thrillers américains. Quand j'ai demandé pourquoi, on m'a dit qu '«il y a des raisons précises de le faire." 

 

L'appartement est grand, meublé simplement, avec des étagères de livres, quelques affiches  et des photographies sur les murs. 

 

Limonov a répondu à toutes mes questions, même les plus difficiles. Il était souvent irrité, il s'est un peu disputé avec moi, mais ce n'était pas désagréable. Difficile de savoir s'il croit tout ce qu'il dit ou s'il aime juste la provocation.

 Jusqu'à présent, la légende sur son charme personnel et son charisme me semblait très exagérée, mais après avoir passé près d'une heure avec lui, je serais plutôt tentée de le croire. 

 

   Au moment de partir, il m'a chuchoté, presque dans un murmure: «S'il vous plaît n'écrivez pas de méchanceté sur moi, simplement la vérité".

 La voici.  

                                              ***

Ludwika WLODEK : - Les médias occidentaux écrivent constamment que le seul espoir pour la démocratie réside dans la classe moyenne naissante en Russie. Mais de toute façon vous n'aimez pas la bourgeoisie. 

 

Edouard Limonov : - Je ne la supporte pas, c'est vrai.

 

- Pourquoi ?

 

- Je suis par nature un artiste. Toute ma vie, j'ai été associé à l'art et ensuite à la politique. Une chose est sûre : je ne suis pas un bourgeois. 

 

- Qu'est ce qui est plus important pour vous : la littérature ou la politique ?

 

- Je ne fais pas de différence entre les deux. La politique est de  l'art. C'est très compliqué, comme l'opéra, par exemple : il y a les mots, une certaine forme de musique. La politique ressemble aussi à la poésie. En politique, il ne faut jamais être  ennuyeux. 

 

- Tout ce que vous avez décrit dans vos livres - votre vie riche en aventures sociales, avec le  sexe, la drogue -  ça ne vous a pas nui en tant que politicien ?

 

- J'ai écrit 58 livres, seulement 12 sont à la première personne. Les autres sont des essais. Ils ne me gènent pas.

 

- Je ne parle pas des essais, évidemment. Ce qui pourrait vous nuire , ce sont les livres  autobiographiques comme "Le poète russe préfére les grands nègres" ?

 

- Limonov n'est pas mon vrai nom, seulement un pseudonyme. Ma seule erreur a été que je suis entré dans la vie politique sous le même nom.

Quand au milieu des années 80 mes livres ont commencé à paraître, j'ai vécu en France, et seulement une poignée de gens savaient que j'étais Limonov. Sur mon passeport, comme aujourd'hui, c'était marqué Edouard Savenko. 

 Quand je suis retourné en Russie en 1993, j'étais ici un écrivain très célèbre. Mon livre ("Le poète russe.... )  est sorti au début des années 90 à des millions d'exemplaires en Russie. 

Puis, quand je me suis présenté aux élections à la Douma,  c'est Limonov qui était écrit sur le bulletin de vote, pas Savenko. La commission électorale l'a accepté. Mais ç'a ma rendu la vie plus difficile. Ce n'était pas une bonne idée, parce que les lecteurs de livres et les gens intéressés par la politique sont deux publics différents. 

  

-  A écouter ce que vous dites ces derniers mois, ce que vous écrivez, j'ai l'impression que vous n'aimez pas certains  opposants, qui devraient être vos alliés naturels.

 

- Est-ce que c'est un devoir de tous les aimer ? De qui parlez   vous ?

 

- Par exemple, l'intelligentsia créatrice.

 

- En Russie, elle est moche, démodée et ridicule. Les personnes âgées, les personnes de mon âge, et même ceux qui ont 40 ans, disent du mal de moi. Mais la jeunesse révolutionnaire a pour moi une grande estime. 

 

- «La jeunesse révolutionnaire», c'est qui ?

 

- Ces dizaines de milliers de personnes qui ont adhéré à notre parti national-bolchévique. Ils ne sont pas tous restés avec nous jusqu'à aujourd'hui, certains sont sortis de notre cercle.

 

- Emmanuel Carrère, dans son livre "Limonov" écrit que vous avez  attiré à la fois "des satanistes d'Irkoutsk, les Hells Angels avec leurs croix gammées, les sandinistes de Magadan."

 

- Je ne fais pas de la psychanalyse . Il dit ce qu'il veut. 

 

- Que voulez-vous faire avec eux, avec le parti ?

 

- Comme toute organisation politique, nous voulons le pouvoir, bien sûr. Pas  pour l'amour du pouvoir, mais pour changer le pays. Aujourd'hui, c'est le capitalisme sauvage dans toute son horreur. En Russie, les  2.000 familles les plus riches,  disposent chacune d'un capital de plus de 100 millions de dollars. Et il y a 131 milliardaires . 0,5% de la population possède 71% des actifs. 

A titre de comparaison, le même pourcentage des plus riches en Inde, n'a que 49%. Imaginez, l'Inde, qu'on a toujours regardé avec une telle supériorité, un pays totalement inégalitaire, avec du glamour et du luxe pour quelques uns, et la pauvreté et la dégradation des masses. Eh bien, c'est encore pire en Russie !

 

- Et en Union Soviétique , c'était l'égalité ?

 

- Non, mais l'écart n'avait rien à voir avec ce qu'il est aujourd'hui . Au début des années 60, j'étais un jeune travailleur qui gagnait près de 300 roubles. Un professeur en gagnait 500.

 

- Ce ne sont que des données statistiques. La nomenklatura  soviétique vivait séparée de la société. Elle avait accès à un luxe, que l'homme soviétique n'imaginait même pas. 

 

-  Il y avait des écarts, mais pas comme maintenant. Aujourd'hui, beaucoup de gens  gagnent 20.000 roubles, (450 euros) . Comparez avec les oligarques, comme par exemple Prokhorov, qui a des milliards.

 

- Pourquoi vous êtes vous disputé avec tous vos anciens alliés politiques ?

 

- Quoi ? Quelle dispute ?

 

- Eh bien, oui.  Il y a quelques années la coalition "L'Autre Russie" rassemblait la plupart des opposants à Poutine, cela allait des nationaux-bolchéviques, jusqu'aux libéraux et aux anciens dissidents anti-soviétiques.

 

- Les libéraux ont commencé à tirer la couverture à eux . La désintégration de la coalition est de leur faute, pas de la nôtre. En 2011, ils ont pactisé avec le pouvoir et trahi la nation.

 

- Oui, oui, je connais votre fameuse théorie selon laquelle  pendant la grande manifestation qui a suivi les élections truquées à la Douma en Décembre 2011, les libéraux, de mèche avec le pouvoir, ont éloigné les manifestants du Kremlin pour les envoyer dans un quartier isolé.

 

- Je ne me suis jamais disputé avec les gens du peuple, c' est ça qui compte. En fait, j'ai eu un accrochage  avec l'intelligentsia de Moscou, la bourgeoisie moscovite. C'est autre chose. Je ne regrette pas. Ils sont une minorité.

Ils perdront les premières élections qui seront vraiment libres. J'ai choisi. Je n'aime pas les traîtres, les méchants, les gens qui mentent et ont des objectifs différents de ce qu'ils proclament officiellement.

 

- A qui pensez-vous ?

 

- Parmi l'intelligentsia russe, Alexei Navalny est à la mode. L'homme qui pendant des années a appelé "Russie unie" (le parti de Poutine), " le parti des escrocs et des voleurs".
Et voilà que pour avoir la permission d'enregistrer sa candidature à la mairie de Moscou, il  accepte les parrainages de bon nombre de conseillers municipaux de "Russie Unie" . 

Pour moi, c'est un effondrement total. Quiconque a des normes morales et éthiques, sera d'accord avec ça.

Et le comble du cirque : Navalny,  après avoir été condamné à 5 ans de prison, a été libéré, comme par miracle, après être resté détenu moins d'une heure. 

 

- Nous savons pourquoi il a été libéré. Le pouvoir voulait quelqu'un de l'opposition, pour participer aux élections à la mairie de Moscou , et pouvoir dire que la victoire du Kremlin s'était faite avec une concurrence loyale.

 

- Poutine a compris  qu'il fallait jeter quelques miettes à tous ces gens qui, en 2011 et 2012, sont descendus dans les rues. Ils ont donc choisi Navalny, un arriviste cynique. 

 

- Bon, supposons pour Navalny...   Mais il y a  Sergueï Oudaltsov, qui lui n'est pas libéral, qui représente toute une jeunesse très à gauche, et pourtant vous ne l'aimez pas. 

 

- J'ai le droit d'aimer qui je veux, et non pas qui vous souhaitez. Je suis un homme de convictions, je ne crois pas aux modes politiques. Je me suis toujours battu pour mon peuple, et cela marche de mieux en mieux.

 

- Comment le savez-vous ?

 

- Nous avons nos sources. Nous recevons beaucoup de lettres de soutien.

 

- Quand vous dites "mon peuple" qui voulez-vous dire ?

 

- La plupart des citoyens de la Fédération de Russie. 

 

- Pensez-vous que la plupart des gens sont en général intéressés par qui vous êtes et ce que vous voulez ?

 

- Je ne le pense pas, je le sais. Je suis  très célèbre et très populaire. C'est pour cela que le pouvoir agit si durement avec moi.   Je suis le seul , parmi les hommes politiques russes à être allé en prison.

 

- Il y a longtemps.

 

- Ah vous voudriez m'y envoyer chaque année, je suppose ? (rires) Même aujourd'hui, je ne peux pas aller n'importe où en Russie.

Je dois à LOUJKOV, l'ancien maire de Moscou beaucoup d'argent - un demi-million de roubles - que je ne peux pas, et ne veux pas lui payer. J'ai été condamné par le tribunal à une telle amende, simplement pour avoir dit que les tribunaux de Moscou étaient subordonnés à LOUJKOV.

 C'est en plus une fierté qu'ils fassent des lois spécialement pour moi.

 Aujourd'hui, ils préparent des amendements à la loi contre l'extrémisme: «Ceux qui se trouvait autrefois à la tête d'une organisation politique religieuse ou sociale, dont les activités ont été interdites, n'auront plus jamais  dans leur vie le droit d'assumer de telles responsabilités." 

Il ne le disent pas ouvertement, mais je sais que c'est pour moi. Parce que  mon Parti national-bolchevique a été interdit en 2007, une fois déjà, et qu'aujourd'hui, ils veulent m'empêcher d'enregistrer le parti "L'Autre Russie".

 

- Je ne comprends pas. Vous avez vécu vingt ans à l'Ouest, en Amérique, en France, dans des pays libres. Pourquoi êtes vous retourné en Russie ? C'est par amour pour le peuple russe, ça doit être épuisant ?

 

- Qui a dit que je suis fatigué ? J'ai un coeur de soldat, je viens d'une famille de militaires. Je ne me lasse jamais. 

 

- Vous ne voudriez pas vivre un peu plus dans un pays normal ?

 

- Non. J'ai vécu 14 ans en France. Ensuite, je suis allé me battre, notamment en Serbie, et en Transnistrie. Je n'aime pas les "pays normaux". Je n'aime pas la vie tranquille, la vie stupide. 

Quel était mon avenir si j'étais resté en France? Je pouvais le faire, je connaissais déjà bien la langue, j'ai même écrit en français. J'aurais pu être être un écrivain en chambre, un "écrivain de salons", profiter d'une pseudo célébrité pour courir les cocktails, et pourquoi pas finir à l'Académie Française. Quelle horreur !

 

- Etre un bourgeois, quoi.

 

- Eh oui, un bon gros bourgeois... C'est pourquoi je me suis enfui de ce néant futile. D'abord pour faire la guerre, et ensuite de la politique en Russie.

 

- Vous ne le regrettez pas ?

 

- Le regretter ?  Sûrement pas . Les idéaux, c'est ce qui est le plus important pour moi. 

 

- C'est juste pour les idéaux que vous avez combattu à Sarajevo ?

 

- Les idéaux de mes amis. La République serbe de Bosnie.

 

 - Mais vos amis ont tiré sur la population civile de Sarajevo.

 

- Arrêtez de dire des choses stupides. Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas. Il y avait une guerre, les deux parties ont tiré  l'une sur l'autre. Arrêtez de parler de civils.  Je n'ai pas tiré sur des civils. Et j'ai vu que nos soldats étaient des cibles pour des hommes armés jusqu'aux dents, qui étaient de l'autre côté. 

 

- Pourquoi cet amour pour les Serbes ? Pourquoi êtes vous allé défendre les intérêts des Serbes de Bosnie. En quoi cela vous concernait ?

 

- Lermontov est allé dans le Caucase, le jeune Tolstoï a pris part à la guerre de Crimée. 

 

- Mais c'était leur guerre, la Russie, leur pays était de la partie.

 

- George Orwell et Hemingway sont allés à la guerre en Espagne. Les écrivains sont toujours intéressés par les hommes dans des situations extrêmes, et donc engagés dans la guerre.

  

- Et pourquoi la Serbie ? 

 

- Je suis allé en Serbie avant la guerre. Ils me connaissaient là-bas, ils avaient traduit mes livres. Lors d'une de mes visites, les responsables militaires m'ont demandé si je voulais aller voir ce qui se passait avec eux. C'était juste avant la bataille pour Vukovar. Personne n'avait écrit sur le côté serbe. J'ai promis de le faire . J'y suis donc allé, et la guerre a commencé.

 

- Alors, c'était par dépit ? Parce que tout le monde en Occident était du coté des Croates ?

 

- L'Ouest a toujours été agressif. N'oubliez pas que les Croisés ont détruit l'Empire byzantin. Officiellement, ils étaient allés combattre les infidèles, et ils ont détruit Constantinople. A Venise, on peut encore voir debout les colonnes volées à Constantinople. 

 

- Tous les pays forts se comportent de la sorte. La Russie n'a jamais fait la même chose ?

 

- Je ne défends pas la Russie. Je dis juste que j'ai combattu du côté des Serbes, contre qui 27 pays s'étaient alliés . 

 

- Toujours au secours des plus faibles ?

 

- Si vous voulez. Je suis fier de mes idéaux et j'aimerais qu'ils soient mieux compris. C'était une guerre injuste. La Yougoslavie a été le dernier pays socialiste en Europe et l'Union européenne, les Etats-Unis, la puissance militariste dégoûtante, ont décidé de détruire ce pays. J'étais là, j'ai vu ces choses.

Les Serbes ont abattu des avions remplis d'armes, qui décollaient de bases militaires en Hongrie et en Autriche. L'Ouest ne sait pas tout cela, ou ne veut pas le savoir.                 

  La Russie s'est dégonflée, et n'a pas soutenu la Serbie. J'ai défendu avec ma kalachnikov ce que la Russie aurait dû défendre. Je ne pouvais pas faire grand chose, mais au moins j'ai un peu sauvé l'honneur de cette nation.

  

- Qu'aimez vous en Russie ?

 

- C'est mon pays. Pas étonnant que je l'aime. Je l'aime et c'est tout. J'ai créé un parti, il y a vingt ans. Toutes ces années ont été incroyablement intéressantes, riches.        

         En Europe, la rectitude politique a détruit tout ce qui était supérieur à la moyenne.

  Savez-vous pourquoi le livre d'Emmanuel Carrère sur moi a eu un tel succès en France, et s'est vendu à des centaines de milliers d'exemplaires ? 

 Une des raisons est que la rectitude politique française a gaché toute une génération qui aurait pu être exceptionnelle. Et maintenant, grâce à ce livre, ils regardent la vie d'un homme qui est le contraire du politiquement correct. Il a vécu une vie merveilleuse, se disent les Français, alors qu'ils ne peuvent plus se le permettre. 

       A une époque les français ont eu une  grande littérature.  De grands bonhommes, comme François Villon, ou  Céline. 

Aujourd'hui, le petit milieu intellectuel évolue frileusement dans la rectitude politique bourgeoise. Mais les Français aspirent à avoir des héros, même s'ils ont peur de l'admettre. Et il n'y en a plus chez eux. Le dernier était Jean Genet. Il est mort en 1986. Il ne supportait plus la France et n'a pas voulu y rester aprés sa mort . Il s'est fait  enterrer au Maroc. Quand il était encore vivant, à la fin, il y avait une conspiration du silence contre lui. 

 

- Là, je suis d'accord avec vous :  en Russie, il n'y a pas de politiquement correct.

 

- En Russie, tout est possible.

  

- Comment voyez-vous votre avenir ?

 

- Je dois être né sous une bonne étoile (rires). Je ne suis pas rationnel.  Sinon, je n'aurais pas écrit tant de livres, et je serais probablement déjà mort. 

 

- Et l'avenir de la Russie ?

 

- La Russie n'est pas un pays frileusement raisonnable. C'est pourquoi nous aurons une révolution. 

 

- Quand ?

 

- Je ne sais pas. Mais c'est sûr à 100%. Chez nous, l'évolution est impossible. Les choses sont  toujours en train de changer rapidement. J'aime ça parce que j'ai la passion en moi. Vous pouvez le voir à travers mes livres, il y a partout du plaisir  et de la joie de vivre. 

   Je ne suis pas Michel Houellebecq. Avec lui, tout est pourriture et dégoût de la vie. Moi, c'est juste le contraire.          

Houellebecq, je l'ai croisé à Paris, à l'époque de «L'Idiot international». 

 

- Oui. Et il y avait là aussi, Patrick Besson, Jean-Edern Hallier et beaucoup, beaucoup d'autres.

 

- Etonnant, le nombre d'auteurs, de toute sorte, qui sont sortis de ce cercle.  

 

- Et aujourd'hui, quels cercles fréquentez-vous ?

 

- Oh, principalement des membres de mon parti . Ce sont des gens beaucoup plus jeunes que moi. Maintenant nous avons plusieurs générations. Ceux qui jadis étaient des enfants, et qui sont devenus des adultes, mais les ados viennent toujours vers nous, à 18 ans et même moins. De tous les horizons de la vie. Ils en ont marre de la famille bourgeoise. 

 

- Et que veulent-ils, ces jeunes ?

 

- Ils veulent un destin unique, une vie extraordinaire. Aller jusqu'à l'extrème limite. Treize de nos jeunes ont été tués par le pouvoir. 

  

- On traite souvent vos partisans d'aventuriers.

 

- Nous avons eu des gens extraordinaires,, par exemple les "Partisans du Primorié". Vous connaissez leur histoire ?

 

- Oui. Un groupe de jeunes de l'Extrême-Orient russe, Vladivostok et ses environs, qui ont attaqué la police, mis le feu à des commissariats de police et qui ont volé des voitures de police.    

 

- Leur chef, Andreï Soukhorada,  était un garçon du parti. Il avait à peine 16 ans, quand il nous a rejoint. Il a vécu avec nous dans le bunker avec une fille de 14 ans,  sa sœur ou une amie, on n'a jamais su. Ils étaient merveilleux.

                       (suite de l'interview après la NOTE)

 

                ***         ***          ***           ***

  NOTE sur les "Partisans du Primorié"

 

Les "Partisans du Primorié" voulaient dénoncer l'effroyable corruption, et se sont fait abattre comme des chiens. C'est une histoire bouleversante et profondément romanesque.

 

Vladimir Kozlov s'en inspire pour son roman GUERRE (2016, 1er livre de la collection Zapoï de La Manufacture de Livres) : 

https://criminocorpus.hypotheses.org/20960 

http://www.vladimir-kozlov.com/French/Guerre_Thierry.htm

 

  

                                                            *****

Sur les "Partisans du Primorié", VOIR CETTE VIDEO

  (Andreï Soukhorada est le troisième en partant de la gauche) 

            

        ***           ***           ***         ***

 

                                             (suite de l'interview)

- Au fait, avez vous vraiment un projet politique, ou voulez-vous vivre une grande vie d'aventurier ?

 

- Vous me demandez encore et encore la même chose. Je vais vous expliquer. Chaque parti politique veut le pouvoir. Pour quoi faire ? Nous avons un slogan: "reprendre et  partager".            

Reprendre aux oligarques tout ce qu'ils ont volé, en leur laissant 200 dollars, à chacun, et en les mettant dans un avion. On les enverrait en Suisse, par exemple.

 

- Et vous croyez que c'est possible ?

 

- Absolument ! Qui va les défendre ? Personne. Selon toutes les études, de 80 à 90% des russes ne sont pas satisfaits de la manière dont les privatisations ont eu lieu.

C'est vrai que les gens ont des idées différentes sur la façon d'améliorer la situation. Certains disent que ce devrait être fait en douceur, d'autres qu'il faut beaucoup prendre et tout partager. Nous voulons un Etat semblable à ce qui existe en Amérique latine, au Venezuela et en Bolivie. 

 

- Vous sentez-vous chanceux ?

 

- Bien sûr. Et comment ! Tout le monde (professionnels et amateurs) me considère comme le plus grand écrivain russe vivant.

 Et en même temps je suis l'un des principaux hommes politiques du pays.   J'ai une merveilleuse petite amie... Que voulez-vous de plus? J'ai eu une vie étonnante. J'ai deux enfants superbes. Le garçon vient de commencer l'école primaire,  et ma fille a cinq ans. Regardez leurs photos sur le mur, comme ils sont beaux.

 

- Oui, c'est vrai... Et dites-moi,  quels autres écrivains russes  aimez vous lire ?

 

- Personne. Ce n'est pas un bon moment pour la littérature. Ni en Russie, où il n'y a pas de grands écrivains, ni à l'étranger.

 

- Et Zakhar Prilepine, vous l'aimez ?

 

- C'est mon compagnon de parti et un écrivain. Un homme de talent, c'est sûr. Il a écrit un grand livre, SAN'KIA, qui parle des natsbols.

  

- Qu'est-ce que vous aimez lire ?

 

- Les biographies des grands hommes.

   

- Avez-vous des personnages historiques préférés ?

 

- Mon prochain livre va bientôt sortir : "Remember the Titans". Il y aura  Socrate, Platon, Marx, Nietzsche, Bakounine et d'autres. Un total de neuf biographies. Sinon, quand j'étais en prison, j'ai écrit un livre intitulé "Monstres sacrés", avec  52 portraits. De Sade, Lénine, Hitler, Edith Piaf ... Pouchkine était là aussi. C'était  mon regard original sur ces personnages historiques. 

 

- Qui appréciez-vous parmi les vivants ?  Les politiciens, les écrivains ?

 

- Les auteurs ne sont pas doués pour l'amitié, je ne suis pas intéressé. J'ai rencontré beaucoup de gens connus et célèbres. Quand j'ai vécu aux États-Unis, je connaissais beaucoup de monde, des sans-abri jusqu'aux sénateurs. En Serbie j'ai rencontré Radovan Karadzic, et ici Jirinovski.

 

- Vladimir Jirinovski ?

 

- Oui, il m'a intéressé. Je suis allé à lui en 1992 avec une proposition de coopération.Dans son cabinet-fantome, j'étais à la tête de l'agence fédérale, quelque chose comme le FBI américain. Puis nous nous sommes séparés, j'ai vu qu'il n'est pas un politicien honnête, mais malgré tout l'un des plus talentueux des deux dernières décennies. Malheureusement, il est allé s'acoquiner avec le pouvoir, se transformer en un satellite du Kremlin. Mais il avait du talent . C'est indéniable. 

 

- Vous l'enviez ?

 

- Surement pas. Je ne voudrais pas être à sa place, je perdrais mon indépendance.Je suis plus heureux que lui.

 Mes partisans sont prêts à mourir pour moi, avec moi, s'il le faut. Personne n'irait à la mort derrière lui, car on ne se fait pas tuer pour de l'argent.

  

 

- Que désirez vous encore ?

 

- Déplacer la capitale de la Russie vers l'Asie. C'est essentiel. J'y pense depuis 1994. Moscou est trop loin à l'ouest. Et nos intérêts sont à l'est. Il faut les défendre contre la Chine qui a un œil avide sur nos frontières orientales, sur le lac Baïkal, un réservoir inestimable de l'eau potable. C'est pourquoi il faut  déplacer la capitale.

 

- Où ? À Omsk ? Krasnoyarsk ? Peut-être à Irkoutsk ?

 

- Non, dans aucune ville déja existante. Il faut construire une ville nouvelle. Différents Etats l'ont fait . Le Kazakhstan a construit  Astana de toute pièce, comme le Brésil l'avait fait avec Brasilia, et nous devrions le faire.      

Cela aurait un impact psychologique important. La Chine comprendrait que nous sommes sérieux au sujet de nos terres orientales.   Nous devrions accorder plus d'attention à nos territoires de l'Est.   Nous avons besoin de construire de nouvelles infrastructures, de nouvelles routes, autoroutes, aéroports, bases militaires ...

 

- Pour quoi faire ?

 

 - Nous sommes l'un des pays les plus riches du monde !

 

- Qui ? La Russie ?

 

- Vous vous foutez de moi? Rien qu'avec le pétrole et le gaz.

 

- Ce n'est pas assez.  Avoir une économie basée sur les matières premières est la grande faiblesse de la Russie.

 

- Et chez vous, ( en Pologne ) qu'est-ce que vous avez, à part des produits agricoles ? Pratiquement rien.

Ah si, peut-être de belles femmes. Mais on n'en manque pas en Russie. 

 

                                          *** 

Eduard Limonov est né en 1943 sous le nom d' Edouard Savenko. Ses parents étaient pauvres, des gens simples. Son enfance et sa première jeunesse se sont déroulées à Kharkov, où il a travaillé dans les usines.

Il a ensuite fréquenté des artistes bohèmes locaux grâce à sa maîtresse, Ana Rubinstein. Il a écrit des poèmes, et pour gagner sa vie, il cousait des jeans pour ses amis d'avant-garde.

 

Après quelques années, il s'installe à Moscou. Là, il a rencontré sa première femme, Elena. En 1974, ils émigrent ensemble aux États-Unis . En Amérique, il a travaillé dans un journal russe,  il a aussi été sans abri, et majordome pour un millionnaire . 

Pendant son séjour aux États-Unis, il  a écrit le célèbre roman autobiographique, "Eto ya Editchka" ( "Le poète russe préfère les grands nègres" ) dans lequel il décrit ses aventures à New York, en insistant sur le sexe (homosexuel et hétérosexuel) et les détails physiologiques.

 

Après cinq ans aux USA, il s'installe à Paris, où il fréquente les milieux intellectuels de gauche. Il a été membre de la rédaction de "L'Idiot International". Il s'est marié une deuxième fois avec une immigrée russe, la chanteuse Natalia Medvedeva. Il a publié dans les années 80 plusieurs livres à caractère autobiographique..

 

Au moment de l'effondrement du bloc de l'Est, il a beaucoup voyagé. Il était sur le terrain, en tant qu'écrivain et journaliste. Mais il a aussi fait la guerre, comme soldat volontaire du côté des séparatistes de Transnistrie, et des Serbes de Bosnie. 

 

En 1993 à Moscou, il a pris part à la bataille pour la Maison Blanche, qui a fait des centaines de morts, après l'assaut lancé par Boris Eltsine.

 

La même année, il s'installe définitivement en  Russie. Il a créé le parti national-bolchevique (les natsbols). Ses membres ont organisé des manifestations pour la défense des Russes dans les pays baltes et des manifestations sous le slogan "Staline, Beria, Goulag, voici comment faire fonctionner une réforme."

 

Avec les natsbols, Limonov a essayé de fomenter un soulèvement armé au Kazakhstan, dont l'objectif était de conquérir la partie nord du pays, habité principalement par des Russes.

 

En 2001, il est arrété dans les montagnes de l'Altaï, à la frontière du Kazakhstan, pour possession d'armes et l'organisation de formations armées illégales. Condamné à quatre ans de prison, il est sorti au bout de deux ans et demi.  


 Au milieu des années 2000, Limonov  a commencé à coopérer avec l'opposition démocratique. En 2006, il rejoint la grande coalition anti-Poutine, "L'Autre Russie"  (du nom d'un de ses livres ). 

Il a également été l'un des initiateurs de la " Stratégie 31", des  manifestation organisées à Moscou le 31e jour de chaque mois pour la défense de l'article 31 de la Constitution, qui autorise les manifestations.

 

A cette époque,  Limonov a aussi approché les cercles libéraux de l'intelligentsia de Moscou. Il a été le compagnon d'une célèbre actrice russe. Il a deux enfants avec elle, mais depuis quelques années, ils  ne sont plus ensemble.

 

Limonov s'est ensuite éloigné des autres membres de la coalition anti-Poutine. La séparation  finale a eu lieu pendant les manifestations après les élections truquées à la Douma à l'hiver 2011. 

Limonov était un partisan de mesures radicales, il a accusé les libéraux d'avoir anesthésié l'humeur révolutionnaire  parmi les manifestants. 

 

Aujourd'hui, "L'Autre Russie" abandonnée par les autres membres de la coalition,  est devenue pratiquement le nouveau Parti national-bolchevique (interdit en 2007) .

 Limonov appelle à un boycott de toutes les élections, estimant que la participation aux scrutins truqués ne fait que légitimer le pouvoir.  

                                                 Ludwika Wlodek - Octobre 2013

                                                                           (Traduit du polonais)

 

                 ORIGINAL à RETROUVER ICI :

http://www.krytykapolityczna.pl/artykuly/czytaj-dalej/20131005/limonow-nie-lubie-spokojnego-glupiego-zycia